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Un cockpit mal géré : Le crash de l’A320 de Gulf Air Vol 072

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En été 2000, au mois d’août, la presse nous montra les images affligeantes d’une mer merveilleusement turquoise au fond de laquelle reposaient les restes d’un avion de ligne et ses 143 occupants. L’approche s’était faite de nuit et l’avion percuta la surface de l’eau. Souvent, quand ce genre de tableau se présente, les enquêteurs pensent à une illusion d’optique bien connue. De nuit, les pilotes ont toujours tendance à se croire plus haut qu’ils ne le sont réellement. Seule une confiance absolue aux instruments permet de rester sur la bonne trajectoire. Et en matière d’instruments, l’Airbus A320 est très bien équipé.

Les pilotes ont-ils été victimes de ce phénomène ? L’enquête va démontrer qu’il n’en est rien. Certains avions n’ont pas besoin de panne moteur, de feu à bord ou de terroristes pour s’écraser. Les pilotes eux-mêmes, par leur attitude, sont parfois de véritables bombes à retardement.

Le vol Gulf Air 072 décolle en début de soirée de ce 23 août à partir de l’aéroport du Caire. En plus des huit membres d’équipage, l’avion transporte 135 passagers pour l’aéroport de Bahreïn International (BAH) dans le golfe persique. L’arrivée est prévue au début de la nuit, mais la météo est bonne et présente rarement de phénomènes dangereux dans cette partie du globe.

Le voyage se déroule confortablement. C’est au moment de l’approche que les choses divergent dangereusement. Pour rassurer les futurs passagers, disons que les pilotes du type impliqué dans cette catastrophe ont été totalement éradiqués des compagnies occidentales. Il existe plusieurs barrages et garde fous pour que des personnes pareilles n’arrivent jamais dans un cockpit. Néanmoins, ce type de pilotes sont très fréquents dans les pays du sud où les distances hiérarchiques sont très fortes et dominent le fonctionnement des compagnies.

Rappelons tout d’abord le rôle des pilotes. Dans chaque avion de transport civil, il y a au moins deux pilotes. Ils n’ont pas toujours la même expérience, mais ont la même formation et la même compétence. S’il le faut, chacun d’eux serait capable de piloter l’avion tout seul et ce, même en cas de problèmes. Le fait d’avoir deux pilotes se situe dans la même logique que d’avoir deux réacteurs ou plusieurs réservoirs ou générateurs électriques. C’est le principe de la redondance. Par ailleurs, l’un des pilotes est nommé commandant de bord. L’autre, copilote ou premier officier pilote. Le commandant de bord est, normalement, plus expérimenté que le copilote. Mais ce n’est pas toujours le cas. Normalement aussi, tous les pilotes commencent sur un avion en tant que copilotes puis évoluent avec le temps et leurs états de services au grade de commandant de bord. Mais ce principe n’est pas toujours vérifié.

Les pilotes se répartissent les tâches par étapes. Par exemple, le copilote réalise le décollage et l’atterrissage lors de l’aller. Au retour, c’est le commandant de bord qui sera aux commandes et ainsi de suite. Le pilote qui n’est pas en fonction, dit PNF, qu’il soit copilote ou commandant de bord, supervise et aide le pilote en fonction. Ainsi, si l’un des pilotes tient le manche, l’autre affichera les fréquences de navigation, sortira les cartes et s’occupera des communications radios.

L’harmonie entre les personnes aux commandes de la destinée de l’avion est vitale. Leur travail et la répartition de leurs taches sont très codifiés et font l’objet d’entraînements et de formations spécifiques. En vol normal, comme en urgence, chaque pilote doit connaître la tâche qui est la sienne. Ceci évite que deux personnes fassent la même chose alors que des tâches vitales restent inaccomplies.

Hélas, sur certains appareils, et en fonction de leur culture personnelle, les commandants de bord se prennent pour ce qu’ils ne sont pas et abusent du pouvoir qui leur est confié tout en sacrifiant la sécurité. Ainsi, on voit des commandants de bord parler et se comporter avec vulgarité et devenir, l’espace d’un vol, ou plus, de véritables voyous du ciel. Sacrifier son copilote, c’est comme se débarrasser d’un réacteur, parfois pire.

Le CVR enregistre les dernières trente minutes de conversations d’un vol. Parfois, il en garde une minute ou deux de plus. C’est ce boîtier orange, à la résistance inouïe, qui relate les évènements qui ont conduit à la tragique issue de cette soirée.

L’enregistrement commence lors de l’approche par un échange qui donne une juste idée sur le déroulement du vol :

– Appelles Bahreïn et dis leur qu’on veut la piste 12

Le copilote s’exécute sans répondre et la tour de contrôle l’autorise à descendre à 3’500 pieds pour l’approche sur la piste 12. Le commandant de bord continue sur un ton qui n’est pas sans rappeler les films western mal doublés :

– Bon on va faire une approche VOR/DME. Tu devras lire les distances et me les donner. Tu dois faire attention. Tu dois dire si tu es capable ou pas de faire ça, ok ?
Le DME est un instrument qui affiche en texte clair la distance qui reste par rapport à un point de navigation donné. Demander à une personne si elle est capable ou pas de lire ce chiffre et de le répéter, c’est la traiter comme un débile mental. Mais les choses continuent :

– Tu vois, j’ai changé le plan de vol et tous les points de route avant même que tu ais le temps de cligner des yeux ! Tu vois ?
– Ok, tu as vu, hein ? continue le commandant
– Oui, j’ai vu, répond enfin le copilote
– Je suis un seigneur ! lance perfidement le commandant de bord.

Alors que l’ordinateur de bord doit être programmé conjointement par le copilote et le commandant, chacun vérifiant le travail de l’autre, chez Gulf Air, les choses se passent, à l’évidence, autrement. Le commandant fait tout le travail tout seul et admire ses propres performances en prenant le copilote à témoin.

Pendant qu’il parade sous les yeux de son unique spectateur, le commandant de bord en oublie son avion. Alors que l’appareil est à moins de 2’000 pieds d’altitude, sa vitesse est de 313 nœuds ! Soit à peu près deux fois la vitesse qu’il doit avoir à ce niveau là. Autant dire que l’Airbus A320 arrive comme un missile sur l’aéroport.

Le pilote s’active et la vitesse de l’avion est diminuée mais pas suffisamment. A 1’670 pieds, alors que l’appareil est à vue de la piste, sa vitesse est de 224 nœuds. De plus, comme il est en descente, il n’a pas tendance à perdre rapidement l’excès de vitesse. A moins de 1’000 pieds, l’avion est à 207 nœuds et le commandant de bord coupe le pilote automatique et décide de régler les choses en manuel et à sa façon. Après quelques corrections, ce dernier se rend compte qu’il n’y aucun moyen de rattraper la chose. L’avion est trop haut et va bien trop vite pour pouvoir se poser en toute sécurité. Ces situations sont prévues dans les procédures aériennes. Si l’avion n’est pas stabilisé sur son approche, l’équipage doit abandonner celle-ci et faire une remise des gaz. Ceci s’effectue en survolant la piste en remontant dans l’axe de celle-ci. Une fois arrivé à une altitude de sécurité, l’équipage fait demi-tour et revient reprendre dès le début l’approche qu’il a ratée.

Une remise des gaz s’accompagne toujours d’une perte de temps et d’une frustration des pilotes. Ces derniers ne se sentent jamais bien de rater une approche faite par une météo facile. Le commandant de bord du Gulf Air décide de commettre une « transgression d’optimisation » comme disent les spécialistes. En dépit de toutes les règles et du bon sens commun, il décide de rattraper l’approche par une technique très personnelle.

Après un rapide message à la tour de contrôle, le pilote aux commandes entame un virage de 360°, soit un tour complet. Son but et de faire un cercle complet et de ressortir à la bonne altitude et à la bonne vitesse. Cette technique qui est parfois pratiquée à haute altitude est très dangereuse à réaliser de nuit aux ras de l’eau.

L’appareil commence à tourner à gauche sous les ordres du commandant de bord. Les volets et le train d’atterrissage sont sortis. La vitesse diminue et l’altitude aussi. L’avion n’est plus qu’à 330 pieds de l’eau quant le commandant de bord lance : « on l’a ratée ! ». En effet, il vient de revoir la piste mais au lieu qu’elle soit en face, elle est visible sur le hublot gauche. En effet, le virage n’a pas été correctement réalisé. Quand l’avion recroise l’axe de piste, il n’a pas fait un tour complet, mais trois quarts de tour. Résultat, l’appareil se retrouve à un cap perpendiculaire à la piste.

Il ne reste qu’une seule chose à faire cette fois : remettre les gaz. Les manettes des gaz sont poussées à fond l’avion commence à accélérer en montant. Il accélère tellement qu’au bout de quelques secondes l’alarme de survitesse retentit. Quand les avions sont dans une configuration d’atterrissage, avec, notamment, les volets sortis, la vitesse maximale est très limitée. Quand cette vitesse est atteinte, une alarme caractéristique retentit dans le cockpit pour avertir l’équipage qui doit réduire les gaz ou mettre l’avion en montée. Cependant, dans le cockpit de l’Airbus la panique est totale. Le commandant a raté son approche, il a raté sa correction improvisée et il a l’impression de rater sa remise des gaz puisque l’alarme s’est déclanchée.

Le commandant est mort lors de l’accident qu’il a provoqué, de sorte que jamais on ne saura pourquoi il a poussé sur le manche. Effectivement, dès que l’alarme retentit, le commandant pousse le manche et le maintient poussé pendant plus de 11 secondes. Alors qu’il s’acharne en piquée, l’avion gagne encore plus de vitesse tout en perdant de l’altitude. L’appareil s’approche de plus en plus de l’eau et le GPWS se met tout à coup à crier : « Whoop ! Whoop ! Pull up ! Pull up ! ».

Cette alarme, avec celle de l’incendie, est sans aucun doute la plus effrayante à entendre dans un cockpit. Normalement, de toute sa vie, un pilote ne l’entend pas. Quand elle retentit, il n’y a qu’une chose à faire : tirer agressivement sur la manche et pousser les gaz à fond. Néanmoins, beaucoup de pilotes ont préféré se crasher que de réagir correctement.

Quand le commandant entend cette alarme puissante, il lui reste huit secondes à vivre. Pendant ces longues secondes, il aurait pu tirer sur le manche, mais il n’en fera rien. Le copilote, lui, est terrifié. Il voit le drame se passer, mais, il n’ose pas réagir. Jamais il ne touchera à son manche pour récupérer l’avion.

A moins de deux secondes avant l’impact, le commandant de bord commence mollement à réagir. Il tire sur le manche, mais à aucun moment il n’ira jusqu’en butée. Le résultat ne se fait pas attendre. L’avion s’écrase contre l’eau à une vitesse de plus de 280 nœuds. La profondeur n’est que de trois mètres mais à forte vitesse, l’eau semble aussi dure que du béton. Les débris s’étalent sur plus de 700 mètres. Les 143 occupants de l’avion trouvent tous la mort. L’eau était à 33° et aurait permi la survie de personnes qui n’auraient pas trouvé la mort immédiatement. Hélas, personne n’aura cette chance.

L’enquête fut facilitée par l’accessibilité des lieux et la proportion des pièces retrouvées. L’avion était en bon état et tous les systèmes étaient fonctionnels jusqu’au crash. Des reconstitutions ont été réalisées en simulateur de vol avec divers scenarii. Selon la compagnie, ses procédures imposent aux pilotes de tirer sur le manche jusqu’en butée lorsque l’alarme de proximité du sol retentit. Il fut également déterminé que si le copilote avait pris les commandes et réagi à l’alarme, il aurait facilement pu sauver l’avion. Plus grave encore, il fut demandé aux pilotes réalisant la simulation de lâcher les commandes au moment où l’alarme se déclanche. Dans ce cas, l’avion se remet à plat et commence à monter lentement, mais sûrement. Ceci montra deux choses. D’abord, que c’est le commandant de bord qui a écrasé l’avion contre l’eau en poussant sur le manche comme un malade et ne réagissant pas à l’alarme GPWS qui annonçait le crash. Puis, insulte suprême, que parfois il vaut mieux avoir un avion laissé à lui-même qu’entre les mains de certains pilotes.

Le commandant de bord, qui se prenait pour le seigneur des pilotes, avait été promu à son poste le 17 juin 2000. Il parti en vacances puis rentra juste à temps pour écraser l’avion qui lui était confié.

Afin de défendre son appareil, Airbus réalisa la même approche sur l’aéroport de Bahreïn avec un vrai A320 cette fois. A bord, avaient pris place divers enquêteurs locaux auxquels s’étaient joints des membres du NTSB et du BEA français. La démonstration se faisant de jour, on demanda plusieurs fois aux passagers de fermer les yeux pour ne se fier qu’à leurs sensations. Diverses expériences furent réalisées et toutes montrèrent que pour s’écraser, il fallait pousser sur le manche afin que l’avion aille en direction de l’eau.

Après ce drame, Gulf Air promis de changer toutes ces procédures afin que ce genre de choses n’arrive plus jamais. Chez Gulf Air tout du moins.

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