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Accident de l’American Airlines vol 965

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De nos jours, le type de crash le plus fréquent implique un avion qui va au sol d’une manière contrôlée. Les pilotes réalisent leurs tâches normalement sans se rendre compte que leur trajectoire va vers la terre, l’eau ou le relief. Dans de nombreux cas, ils ne se rendent compte et ne réagissent que quand l’avion rentre dans une fenêtre où l’impact est inévitable. De plus, l’obligation de réagir en une fraction de seconde implique un risque d’erreur important. Ce type d’accidents est connu sous le nom de CFIT pour Controled Flight Into Terrain.

Le vol AA 965 reliait Miami à Cali en Colombie. A quelques jours avant Noël, il connaît une affluence particulière à cause des émigrants hispaniques qui rentrent passer les fêtes en famille. Ils ne sont pas les seuls à vouloir partir et les aéroports sont tous congestionnés. Prévu pour décoller à 16:40, le vol est retardé une première fois pour attendre des passagers en correspondance. Finalement, quand ceux-ci arrivent, l’appareil a déjà perdu sa place dans l’interminable file d’attente. Il faudra près d’une heure et demie de roulage au pas avant que le 757 ne puisse décoller avec ses 8 membres d’équipage et 155 passagers.

Evoluant à 37’000 pieds, l’appareil passe dans l’espace aérien de Cuba, puis dans celui de la Jamaïque et enfin dans celui de la Colombie après près de 3 heures de vol. Il fait bien nuit quand la descente commence sur la destination, Santiago de Cali. L’approche n’est pas simple et pour tout dire, elle est très stressante. L’avion descend alors que tout autour se profilent les ombres menaçantes des sommets de la Cordelière des Andes, la plus longue chaine de montagnes au monde.

L’aéroport est situé dans une vallée encaissée à 3’200 pieds d’altitude. Les cartes indiquent des obstacles à plus de 14’000 pieds dans un rayon de quelques kilomètres seulement. Quand le pilote s’annonce auprès du contrôleur local, il est au niveau 200 en descente.

A Cali, il n’y a pas de radar depuis 1992. Des guerrieros l’ont fait sauter parce qu’il appartenait au gouvernement central. Les contrôleurs travaillent à l’ancienne avec des feuilles de papiers, des strips, qu’ils classent sur un pupitre en fonction des départs et des arrivées. Dans ces conditions, il n’y a pas moyen de connaître précisément la position d’un avion. Il faut les appeler tous régulièrement et leur demander où ils se trouvent pour pouvoir les séparer les uns des autres. Sur ce type de terrains, dès qu’il y a une demi-douzaine d’avions en activité, les échanges radio deviennent nombreux.

La météo est variable avec de nombreuses couches nuageuses éparses et, occasionnellement, de la pluie. Hors des nuages, la visibilité dépasse les dix kilomètres. La température au sol est de 28 degrés, presque un record pour la saison. C’est dans ces conditions que l’AA 965 est autorisé à poursuivre sa descente. Le copilote est aux commandes alors qu’il n’est jamais venu sur ce terrain. Il fait confiance au commandant de bord qui, sans être un familier, est déjà venu une bonne douzaine de fois. Aucun briefing d’approche n’est réalisé. La préoccupation majeure des pilotes est d’arriver le plus vite possible afin de rattraper leur retard.

A la tour de contrôle de Cali, il y a un certain état de choses. Des amis du contrôleur sont présents. Ils écoutent de la musique, discutent et profitent de l’endroit pour passer des appels téléphoniques au frais des autorités aéroportuaires. De plus, le contrôleur a un niveau d’Anglais qui lui permet à peine de répéter des phrases qu’il donne usuellement lors des approches et des départs.

La piste en service est la 01, elle pointe vers le nord. Pour les avions arrivants des Etats-Unis, il faut survoler l’aéroport, partir vers le sud, faire demi-tour et revenir atterrir. C’est cette trajectoire qui est programmée dans le l’ordinateur de gestion du vol (FMC) du 757.

 


AA965
Remarquez les deux balises 274 R (Rozo et Romeo).
Même fréquence et même indicatif en deux endroits différents !
Comme le vent est faible sur le terrain, le contrôleur décide de faire une fleur au vol AA 965 et demande aux pilotes s’ils ne préfèrent pas faire une approche directe sur la piste 19. En moins de 4 secondes, ces derniers acceptent. Pourtant, ce n’est presque pas jouable. Il faut sortir les cartes de cette nouvelle approche, les étudier, faire un briefing complet, reprogrammer le FMS et perdre de l’altitude plus rapidement. Dans cette perspective, le copilote déploie les spoilers alors que le commandant commence à reprogrammer l’ordinateur de bord. Au moment où il sélectionne une approche directe, tous les points de route s’effacent (Bien avant ce crash, Boeing avait eu beaucoup de plaintes de la part des pilotes au sujet du comportement du FMS. Le changement avait été accepté et les systèmes étaient progressivement mis à jour quand arriva cet accident. Sur l’avion impliqué, le FMS fonctionnait encore de manière non intuitive.). Ceci est normal dans la logique du système. Cependant, le contrôleur avait demandé de rappeler en passant au dessus du VOR de TULUA et ils ne savent plus le retrouver dans la base du FMS.

En effet, d’après les usages courants, n’importe quel pilote s’attendrait à ce que le code 3 lettres de TULUA soit quelque chose comme TUL, TLA ou TUA à la rigueur. Il n’y a pas de règles précises sur ce point. Le VOR de TULUA répond à l’indicatif ULQ. Quand le commandant de bord ne le trouve pas dans le FMS, il commence à fouiller ses classeurs de cartes pour le situer. Pendant ce temps, l’avion passe à sa verticale et continue à aller vers le sud en descendant à toute vitesse. En désespoir de cause, le commandant décide de programmer le point suivant, ROZO. Dans le stress, il va tomber sans un second piège.

En effet, ROZO est abrévié par R, mais il n’est pas le seul. Plus loin, vers le nord-est, près de Bogota, il y a une autre balise NDB appelée ROMEO et répondant également à l’indicatif R. Pour faire bonne mesure, elle émet sur 274 kHz comme son homonyme. Dès que le commandant de bord valide la balise R, le FMS charge l’information dans la mémoire du pilote automatique et l’avion commence à virer à gauche pour se diriger vers ROMEO. Ce virage n’est pas normal parce que l’appareil aurait du continuer tout droit sur Rozo.

A 21:38, le copilote pose cette question ahurissante : « où sommes-nous ? ». Plus personne ne comprend très bien ce que fait l’avion. Ni le contrôleur qui multiplie les appels, ni l’équipage qui n’ose pas remettre en question le comportement de l’ordinateur de bord. Alors qu’il descendait dans un canyon, en virant, l’avion s’oriente vers l’une des parois.

Le copilote propose de tourner vers le VOR de CALI. Ce repère donne au moins quelque chose de sûre aux pilotes : c’est là qu’ils vont. L’idée est aussi tôt approuvée et l’appareil, sous pilotage manuel cette fois, commence à virer à droite pour reprendre son axe. A cet instant, le radioaltimètre s’active et mesure que le sol est à moins de 2’500 pieds en remontant très rapidement. L’information est transmise au GPWS qui réagit immédiatement :
– Too Low Terrain ! Annonce une voix synthétique dans le cockpit

Les pilotes sont soudainement plongés dans la réalité. Sans perdre un instant, le copilote tire le manche et pousse les manettes des gaz. Moins de deux secondes après l’alarme, les réacteurs commencent à accélérer. L’avion est cabré à la limite du décrochage et commence à gagner de l’altitude. Entre lui et la montagne, s’engage un bras de fer. Le 757 est très puissant mais son cap suit le chemin de plus grande pente du terrain. De plus, le copilote a oublié les spoilers sortis. Les performances ne sont pas optimales. Alors qu’il est à moins de 80 mètres du sommet (250 pieds), l’avion se prend dans les arbres et s’écrase brutalement. Il y a 159 morts et 5 rescapés dont un chien qui s’appelle Miracle.

Dès qu’il ne reçoit plus de réponse à ses appels, le contrôleur déclenche l’alerte et les secouristes se mobilisent. Dans les Andes, il est possible de perdre un avion, même un 757, et de ne jamais retrouver sa trace. C’est seulement après six heures du matin qu’un hélicoptère de l’armée découvre les restes fumants et oriente la colonne de secours.

Ce crash est l’illustration dramatique d’une perte de conscience de la situation par les pilotes. Dans des situations imprévues et sous stress opérationnel, les équipages peuvent perdre le sens de leurs actions et arrivent à en oublier qu’ils sont dans un avion qui avance de plusieurs kilomètres par minute. Seuls des projets à très court terme arrivent à les occuper. Ces actions peuvent être très secondaires, mais empêchent la réalisation d’actions vitales comme le maintien de l’attitude, de la vitesse ou de la trajectoire.

Quand les pilotes acceptent l’approche sur la piste 19, ils pensent qu’ils sont encore avant l’IAF (Initial Approach Fix) qui est le VOR de TULUA. Une fois qu’ils se rendent compte que ce point est derrière, ils ne révisent pas leur jugement sur la base de cette nouvelle information. En aviation, une décision doit toujours être dynamique et constamment mise à jour sur la base de l’évolution de la situation. Sous pression, les équipages peuvent adopter une attitude qui consiste à confirmer des décisions prises même si elles sont mauvaises. Tous les éléments tendant à contredire la décision sont sous-pondérés ou ignorés.

Sur les nouvelles générations d’appareils, l’avènement de l’informatique a permis de réduire les équipages de conduite à deux personnes seulement. L’ordinateur est un outil indispensable mais s’il tombe en panne ou doit être écarté, il y a immédiatement un déficit dans le cockpit. La charge de travail augmente brutalement et à des moments où il est difficile de faire face. Pour illustrer ce phénomène, on peut juste imaginer la situation d’une entreprise devant arrêter ses ordinateurs et réaliser ses opérations à l’aide de carnets et de stylos. En très peu de temps, le personnel n’est plus en mesure de faire face à la charge de travail.

Au point de vue maintient des connaissances, l’informatisation fait oublier aux opérateurs les techniques manuelles. Sincèrement, combien de personnes savent encore faire des divisions compliquées juste avec une feuille et un crayon ? Quand un contrôleur demande à un pilote de Boeing 727 d’arranger sa descente pour passer tel point à telle altitude, il faut faire des calculs. Tenir compte de la vitesse de l’avion, des composants de vent, du taux de descente, de l’altitude actuelle, de la distance restante au point indiqué… tout un travail. Heureusement, ils sont trois dans le cockpit. Sur un A340, quand une altitude est sélectionnée, un arc s’affiche pour indiquer au-dessus de quel point elle sera atteinte. Il suffit d’ajuster l’assiette pour atteindre une altitude à un point précis. Il n’y a pas le moindre calcul à faire. Et même si le vent ou la vitesse changent, il suffit d’adapter l’assiette. Habitués d’une telle facilité, les pilotes peuvent tomber de haut quand s’en trouvent privés. Selon comment, certains peuvent lâcher l’avion, reprogrammer l’ordinateur, et reprendre le contrôle après. C’est à peu près ce qui arriva à l’équipage du Thaï 311, cet accident sera traité un peu plus tard.

Après le drame de Cali, le NBD ROZO fut renommé. Aujourd’hui, il s’appelle PALMA et son indicatif, vous l’auriez deviné, est PL.

(Extrait du livre Sécurité Aérienne – par Amine MECIFI – Sortie Septembre 2007)

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