Home Pannes Mécaniques Aloha Vol 243 – Corrosion et nombre de cycles

Aloha Vol 243 – Corrosion et nombre de cycles

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Le 28 avril 1988, à 13:25, alors que les problèmes du Comet sont déjà tombé dans l’oubli, un 737-200 de la compagnie Aloha Airlines s’aligne pour décoller. Le vol est prévu pour relier Hilo à Honolulu capitale de l’Etat de Hawaï. L’archipel des Hawaï, connu aussi sous le nom des « îles Sandwich », est le 50ème et dernier Etat à avoir rejoint les USA pas plus tard qu’en 1959. Constitué de 18 îles principales, il est séparé par 3700 KM d’Océan du continent américain. Les vols intérieurs constituent un moyen rapide et efficace de déplacement. Ce jour, 89 passagers avaient pris place à bord de l’appareil immatriculé N73711.

Après le décollage, le Boeing se met en montée vers son niveau de croisière. Le vol est court, une hôtesse de l’air défait sa ceinture et traverse l’allée centrale pour entamer le service en vol. Les passagers, eux, sont encore attachés. Au passage des 24’000 pieds, sans le moindre signe annonciateur, le toit est arraché sur plus de 6 mètres et l’hôtesse aspirée dans le vide. Les 5 rangées de sièges avant se retrouvent à l’air libre. Le bruit est épouvantable et le vent balaie l’avion à 500 Km/h menaçant d’arracher les passagers de leurs sièges.

Du ras du plancher gauche, jusqu’au ras du plancher droit, un énorme pan de la cabine manque. Il s’en faut de peu pour que l’avion se désintègre et soit coupé en vol. Seule la partie inférieure du fuselage tient encore ensemble l’avant et l’arrière et garde l’avion en une seule pièce.

Le commandant bord entend un bruit d’explosion et se retourne. Le spectacle est effrayant : la porte du cockpit a été arrachée et à travers ce qui avait été le toit de la première classe, il voit le ciel. Immédiatement, les pilotes mettent leurs masques à oxygène et entament une descente d’urgence à plus de 4’000 pieds par minute.

Le copilote essaye plusieurs fois d’entrer en contact radio avec la tour de contrôle mais le bruit ambiant rend impossible toute communication. Ce n’est que dix minutes après le début de la descente que les premiers échanges ont lieu et que les contrôleurs sont informés d’une situation d’urgence. L’appareil se dirige vers l’aéroport le plus proche, celui de Maui. Le contrôleur utilise sa ligne directe pour appeler les pompiers de Maui et leur demande de prendre position aux abords de la piste en prévision du pire. Dans la panique, personne ne songe à appeler les secours médicalisés.

En l’air, l’avion est à 10’000 pieds et commence à ralentir. Le commandant de bord retire son masque à oxygène et s’oriente vers la piste 02 de l’aéroport de Maui. Il baisse les volets à 1 puis à 5 degrés et continue à réduire la vitesse pour l’approche. Au moment où le pilote sélectionne 10 degrés de volets, il commence à perdre le contrôle de l’avion. Heureusement, il peut encore ramener les volets vers la position 5 avant que les choses ne dégénèrent. Il décide d’atterrir avec les volets dans cette position et se retrouve donc obligé de garder une vitesse minimale de 170 nœuds. Un atterrissage à une vitesse aussi élevée peut facilement mal tourner.

A 13:55, la piste est enfin en vue, mais rien n’est encore joué. A la demande du commandant de bord, le copilote abaisse le levier de sortie du train d’atterrissage. Quelques secondes plus tard, deux indicateurs tournent au vert, mais pas le troisième. La roulette située au niveau du nez de l’avion n’est pas sortie ou son mécanisme de signalisation est grillé. Etant donnée l’urgence de la situation, les pilotes décident d’atterrir sans s’occuper plus loin de ce problème. Le contrôleur au sol en est informé.

L’avion continue à se disloquer en vol et à perdre ses systèmes les uns après les autres. Alors que le sol est de plus en plus proche, le commandant de bord sent l’appareil partir à gauche. Il corrige avec les palonniers et regarde les instruments moteur : le réacteur numéro 1 est entrain de rendre l’âme. Le copilote essaye de le redémarrer, mais il est totalement inopérant. Il reste 6 kilomètres pour atteindre la piste en volant sur un seul réacteur avec un avion disloqué.

A 13:58, soit 23 minutes après l’explosion initiale, l’appareil atterrit normalement sur la piste 02 de l’aéroport de Maui. Bonne nouvelle : la roulette de nez est sortie et ne cède pas durant le freinage. L’inverseur de poussée du réacteur 2 est utilisé puis le moteur est coupé. Les volets sont sortis à 40 comme le veut procédure d’évacuation. Dans cette position, ils servent de toboggans aux passagers qui fuient par les portes de secours situées au-dessus de l’emplanture des ailes.

L’évacuation se fait au milieu de la piste. Plusieurs personnes sont gravement blessées après avoir été touchées par des fragments de métal lors de la décompression. Les autres, sont juste choquées. Une hôtesse de l’air est manquante à l’appel. Plusieurs personnes l’ont vue disparaître dans le vide au-dessus de la mer. Son corps ne sera jamais retrouvé.

L’enquête
Le NTSB commence l’enquête alors que les images du 737 d’Aloha font le tour du monde. Rien de tel qu’un vol cauchemardesque pour nourrir l’imagination du public.

Un passager déclare avoir vu une énorme fissure courir le long de l’avion au moment où il avait embarqué. Il ne l’avait pas signalée au personnel navigant. Par ailleurs, ni les pilotes, ni le personnel au sol n’avaient inspecté l’appareil lors de son étape à Hilo. Ils n’étaient pas tenus de le faire d’après les procédures en vigueur.

Un intérêt tout particulier est porté à la conception de la structure du 737. L’avion d’Aloha est vieux. Il vole depuis plus de 19 ans au moment de l’accident. C’est le 2ème avion au monde en terme d’importance du nombre de cycles. Il avait accumulé près de 90’000 décollages et atterrissages à force de travailler sur les courtes lignes intérieures de l’archipel de Hawaï.

Le 737 est composé de plusieurs sections semi-circulaires qui sont fixées les unes aux autres pour former la cabine de l’appareil. Chaque section chevauche la suivante sur environ 7.5 cm. A ce niveau, trois rangées de rivets viennent solidariser les pièces. En plus, dès le numéro de série 291, une ceinture en aluminium vient rajouter une épaisseur et elle est également rivetée avec le reste. Cette zone, où plusieurs métaux se rencontrent, est très sensible à la corrosion. Elle est donc protégée par une résine qui empêche l’air et l’eau d’entrer en contact avec le métal.

Le Boeing 737-200 d’Aloha portait le numéro de série 151. C’est mal. Ceci signifie que les pièces sont jointes par une méthode ancienne qui avait depuis été abandonnée sur les nouveaux appareils. Comme c’est souvent le cas, les anciennes machines n’ont pas été mises à jour pour des raisons techniques ou économiques. Sur l’appareil d’Aloha, les sections étaient rivetées, mais pas renforcées par une troisième épaisseur. Cette faiblesse avait été exaspérée par le fait que cet appareil en particulier était exploité dans une zone maritime sur des cycles courts et répétitifs. Une bombe a retardement était lancée.

En effet, sur les avions à section circulaire comme le Boeing 737, l’effort circonférentiel est deux fois supérieur à l’effort longitudinal. Lors des cycles compression – décompression de la cabine, le métal est soumis à des efforts importants qui vont provoquer des fissures perpendiculaires au sens des contraintes mécaniques. L’effort circonférentiel, produit des fissures qui vont évoluer longitudinalement. Sur l’appareil d’Aloha, les fissures courraient à droite et à gauche aux pieds des passagers de première classe là où les sections inférieures et supérieures se rencontraient.

Le sel marin avait pénétré les joints et provoqué de la corrosion. Les oxydes de métal ont un volume plus grand que le métal lui-même. Comme les feuilles d’alliage sont intimement plaquées les unes contre les autres, l’expansion des oxydes, même en petite quantité, provoque une formidable élévation de la pression et pousse sur les rivets qui peuvent finir par céder.

Le rapport du NTSB pointa du doigt la FAA pour son laxisme à faire appliquer les recommandations des constructeurs et la compagnie pour la défaillance de sa maintenance. Le comportement des pilotes fut exemplaire et ils ont sauvé l’avion d’une situation désespérée. Le copilote, Madeline Tompkins, fut promu commandant de bord devenant ainsi la première femme à occuper ce poste sur Boeing 737. Nous restons cependant loin de ce qu’on peut qualifier de happy end.

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