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Guest Post: Adam Air Vol 574 – La chute incomprise

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Le crash du vol Adam Air 574 le 1er janvier 2007 est typique de l’ouverture incontrôlée des marchés aériens à la concurrence et de l’impact de la corruption sur la sécurité des vols. Si les conditions techniques sont différentes, de nombreux facteurs humains de ce crash sont similaires à l’accident One-Two-Go vol 269 en Thaïlande survenu le 16 septembre de la même année.

Suite à la crise asiatique de 1997, l’Indonésie, durement touchée, décide d’ouvrir le secteur aérien à la concurrence privée. Rapidement, une trentaine de nouveaux opérateurs, majoritairement basés sur le modèle low-cost, s’ajoutent aux 3 compagnies publiques du pays. L’une d’entre elles, Adam Air, démarre en 2003. Son image dynamique accompagnée d’une politique agressive de bas prix entraînent une croissance rapide.

 

Adam Air 574
Avions d’Adam Air

En ce 1er janvier 2007, pendant la saison des pluies, 96 passagers se présentent au comptoir pour le vol entre Surabaya, sur l’île de Java, et Manado, Sulawesi. Effectué sur le B737 enregistré PK-KKW âgé de 18 ans, le vol 574 décolle à 12:58 pour un vol régulier de 2h30. Aux commandes, le capitaine Refri A. Widodo et le co-pilote Yoga Susanto totalisent 4900 heures sur ce type d’appareil. Le personnel navigant commercial comprend 4 stewardesses.

L’avion atteint les 22000 pieds et l’équipage prend contact pour le point suivant, Ujung. Son contrôleur donne l’instruction de passer au niveau 330 vers KASOL, situé au nord-est d’Ujung. Le co-pilote confirme et termine la communication. Plus tard, la météo sera évoquée dans le cockpit – des orages tropicaux et violents sont fréquents pendant cette période de moussons. Il est aussi question d’un problème récurrent d’Inertial Reference System (IRS), qui montre des différences d’affichage entre les modules de navigation gauche et droit. Les soucis sont détaillés sur le ton de la plaisanterie.

9 minutes plus tard, le contrôleur d’Ujung voit le vol KI-574 foncer vers l’orage et s’exclame:

– Quelle est la direction d’Adam? Mon Dieu, il part vers le Nord!

Le co-pilote demande au contrôleur d’Ujung de lui donner la position de l’appareil, ce qu’il fit. Les soucis continuent dans le cockpit et l’ambiance joviale fait place à la panique et à la confusion. L’équipage fait face à 2 instruments IRS aux données contradictoires et l’appareil entre dans un orage violent:

PIC 		- Si l'IRS numéro 2 est éteint, on verra ce qu'il se passe.
Co-pilote	- IRS
PIC		- Navigation, FMS, regarde le FMS.

Le pilote fait appel à la documentation 11.4 sur les troubles IRS. Divisé en 2 parties (sol et en vol), il s’agit d’une checklist à suivre en cas de problème. Ce systeme va focaliser l’attention et l’équipage n’est pas d’accord sur les causes alors que l’avion est dans une masse orageuse intense:

Co-pilote	- Faute IRS.
PIC		- 11.4, ce n'est pas une faute.
Co-pilote	- Ce n'est pas une faute.
PIC		- L'IRS est erroné.
Co-pilote	- Mais la faute doit être éclairé, capitaine.
PIC		- Oui, ce n'est pas une faute.
Co-pilote	- Alors au sol, en vol. Celui-ci au sol. IRS faute 11.4.
PIC		- Ce n'est pas une faute.
Co-pilote	- Non non non.

Confus, le pilote affirme que son IRS est correct. Le co-pilote demande et obtient à 2 reprises la position de l’appareil à Ujung mais ne vérifie pas la concordance avec les 2 IRS. A 13:56, alors les éclairs font rage et que la visibilité se réduit, le pilote demande à son collègue de passer son IRS – le gauche – en mode Altitude. Le co-pilote exécute la commande sur l’IRS droit et l’autopilote se déconnecte immédiatement. L’équipage ne le remarque pas et oublie de maintenir le niveau pendant 30 secondes comme le veut la procédure durant le recalibrage.

L’avion descend et l’alarme Bank Angle retentit 4 fois, puis celle d’Altitude Deviation.

PIC		- Remets le en navigation, remets le en navigation!
Co-pilote	- Oui.
PIC		- Remets le en navigation, remets le en navigation!

Le nez de l’avion pointe vers le sol, penche vers la droite et est en survitesse. L’orage est plus fort que prévu lors du briefing à Surabaya: la météo prévoyait des vents de 56 km/h, mais atteignent 130 km/h sur place.

Co-pilote	- Nav.
PIC		- Ne le mets pas! C'est notre seule solution.
Co-pilote	- Remonte! Remonte! Remonte! Remonte! Remonte! Remonte!

A 13:59, un Whoop whoop est enregistré, la carlingue se désintègre et les morceaux s’écrasent dans le détroit de Makassar. Aucun mayday ne sera envoyé.

Rapidement, des villageois affirment que l’avion s’est écrasé sur une montagne et l’armée trouve 12 rescapés. L’information est rendue officielle, même si l’avion n’est pas été trouvé. Il s’agira en réalité des naufragés du bateau Senopati Nusantara, qui a coulé dans le même orage que le vol 574. Le ministère des Transports s’excusera par la suite.

La recherche débute avec des moyens gigantesques: l’armée locale est aidée de l’aviation singapourienne suivie de la marine anglaise. Le gouvernement indonésien estime que chaque jour de recherche coûte 110 000 US$.

Le 11 janvier, un pêcheur retrouve le stabilisateur horizontal et est récompensée de 5 500 US$ par le gouvernement, décidé à comprendre les causes de ce crash. Rapidement, des morceaux sont trouvés et les boîtes noires sont localisées par un navire américain.

Le 26 janvier, la facture pour le repêchage des boîtes noires en mer profonde est calculée (1 millions US$), Adam Air refuse de payer. L’opération impliquant des moyens provenant des États-Unis, du Japon et de la France. Le NTSB américain insiste, car le sonar des boîtes noires est alimenté pendant 30 jours seulement. La batterie se déchargera.

Rapidement, les pilotes de la compagnie parlent du manque de maintenance et du management par la terreur. Un pilote explique à la presse qu’il a dû voler dans des avions avec des pièces majeures défectueuses ou obsolètes (porte, hublot), que le personnel de maintenance était mal formé et sans moyen, et conclut:

– A chaque fois que vous deviez voler, vous deviez vous battre avec le personnel au sol et le management sur les règlements que vous deviez violer.

 

Adam Air 574
Le B737 a souffert d’un problème hydraulique qui ne lui permet pas de faire le retour.
L’aéroport ne dispose pas de push-back.
L’appareil bloque la piste, les passagers le quittent et le retour est fait manuellement.

Adam Air 574
L’avion est ensuite “réparé” avec du scotch de conduit.

En parallèle, le directeur d’Adam Air rejette toute responsabilité, licencie les pilotes récalcitrants et porte plainte contre ceux qui ont parlé à la presse. Il déclare à propos du crash:

– C’était un problème météo. Tout était parfait quand l’avion décolla, sauf le facteur X. Nous ne sommes pas Dieu.

Les incidents avaient fortement augmenté l’année avant le crash: le 11 février 2006, un pilote perd son système de navigation et se pose à 480 km à l’opposé de sa destination intentée après avoir tenté de voler à vue. Celui-ci sera arrêté par la police après que la compagnie ait déposé plainte. Cet avion devait être inspecté par les autorités mais avait été caché ce jour-là.

A peine 2 mois après le crash, le 21 février 2007, un autre B737 d’Adam Air fait une sortie de piste à Surabaya et est written off (détruit). L’équipage refusera d’évacuer d’urgence, les passagers se révolteront et ouvreront eux-même les portes du Boeing. Il n’y aura pas de blessés. Le gouvernement imposera des vérifications et forcera la compagnie à payer l’extraction des boîtes noires mais sa licence n’est toujours pas menacée.

 

Adam Air 574
Les pièces détachées du B737 accidenté seront remises sur les autres avions de la compagnie.

En mars 2007, le gouvernement annonce des révocations de licence. Une liste nationale de sûreté aérienne est établie: la catégorie 1 (excellent bilan de sécurité) ne contient aucune compagnie, la catégorie 3 (fermeture si pas d’amélioration sous 3 mois) contient 7 compagnie dont Adam Air. De plus, le gouvernement interdit l’achat d’avions de plus de 25 ans d’âge.

En juin 2007, à la surprise générale, Adam Air est autorisée à continuer, malgré son défaut de paiement. Toutes les compagnes indonésiennes se retrouvent sur la blacklist européenne. Les accusations de korupsi se font de plus en plus entendre dans l’opinion publique et des protestations ont lieu devant le siège de la compagnie.

 

Adam Air 574
Des manifestants furieux brûlent l’ “avion de la mort”

Le 28 août, les boîtes noires sont remontées à la surface et envoyées au NTSB américain. Le rapport final conclut que l’équipage n’avaient pas conscience que l’autopilote était désengagé et qu’il fallait maintenir le niveau de vol manuellement. L’avion, pris dans des forts vents et une pluie torrentielle, a plongé de 60° et cabré de 100° alors que les pilotes étaient désorientés spatialement. En se focalisant sur un problème de navigation, ils n’ont pas compris la chute de l’appareil. L’avion a subi une vitesse de 910 km/h, soit 20% de plus que sa vitesse structurelle maximale.

Rapidement, la compagnie est pointée du doigt pour ne pas avoir formé correctement ses pilotes, beaucoup ne savant pas comment réagir dans la situation du désenclenchement du pilote automatique. De plus, la répartition des tâches est montrée du doigt dans le rapport, l’équipage étant désorganisé et paniqué.

Peu à peu, les langues se délient: le directeur de la compagnie, Agung Laksono, et aussi porte-parle de la Chambre des Députés, et sa directrice financière, la richissime Sandra Ang, bénéficient d’un réseau d’influence important. Les journaux font état d’une comptabilité poreuse entre l’état et la compagnie. Laksono sera accusé d’avoir formé Adam Air avec l’argent du contribuable et les autorités aéronautiques locales d’avoir fermé les yeux sur les manquements aux règles. Mme Ang sera accusée d’avoir détourné 210 millions US$. Les Indonésiens parleront rapidement de la “famille Adams”.

La popularité d’Adam Air continuera à s’effriter quand Asia Times dévoilera que les “tous nouveaux B737-400″ présentés par le site internet ont en fait plus de 15 ans.

En mars 2008, un B737 fait une sortie de piste à Batam et le gouvernement supprime définitivement la licence d’Adam Air.

 

Adam Air 574 - PK-KKT
Dernier vol pour le B737 immatriculé PK-KKT.


 


 

Vol Adam Air 697, Balikpapan à Surabaya, le 28 août 2007. Le personnel veut réouvrir la porte avant le décollage. Les hôtesses ne pouvant la débloquer, des passagers homme tentent. Après 30 minutes d’effort, la porte s’ouvre. Aucune inspection ne sera menée et l’avion redécollera. Une hôtesse tentera de confisquer la caméra d’où provient cette vidéo. Une dispute éclatera ensuite entre personnel et passagers à ce sujet et sur la sûreté du vol.


 

Il existe une pratique courante en Asie pour éviter les mauvaises publicités suite à un crash, l’Indonésie n’échappe pas à la règle: du personnel de la compagnie repeint au plus vite les logos présent sur l’appareil accidenté.Quelques exemples:

13 avril 2010 – Vol Merpati MZ-836 à Monokwari (Indonésie). Le logo sur la gouverne et l’immatriculation PK-MDE sont visibles.

Les 2 informations sont repeintes.

27 mars 2007 – Vol Garuda GA-200 à Jogjakarta (Indonésie). Lors de l’évacuation, des passagers ont pris des photos de l’appareil brûlant. La gouverne sera repeinte dans la journée.

Voici un Xian MA-60, un avion chinois inspiré de l’Antonov-26.

En 2009, un MA-60 de Zest Air fait une sortie de piste à Caticlan, Philippines. Les logos et le site internet sur la carlingue sont rapidement repeints …

… puis l’intégralité!

 

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