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Air France 447 – Faut-il Tirer sur le Copilote ?

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On aborde une question taboue cette semaine : est-ce que c’est le pilote qui a écrasé l’Air France 447 dans la nuit du 31 mai au 1er juin 2009 ? La question est virgulée de manière incidente dans de nombreux articles de presse et commentaires depuis la sortie du communiqué du BEA. Ce communiqué, mis à part la photo de l’intéressé, laisse plein d’autres indices pointant dans sa direction.

Avant de vouloir s’expliquer un accident, il faut d’abord accepter le fait que les solutions se trouvent dans un espace isotrope. C’est-à-dire un espace dont les propriétés ne dépendent pas de la direction considérée. Si c’est le pilote qui a planté l’Airbus, on ne devrait pas faire de résistance psychologique devant les faits. D’ailleurs, comme on le dit souvent, 70% des accidents sont dus à des erreurs humaines. Un de plus ou un de moins, hein ?

D’ailleurs, remarquez un truc : sur la planète Mars, il n’y pas d’humains, il y a pas d’accidents.

Pensez-bien à la planète mars : ils sont où les 30% d’accidents qui ne seraient pas dus à des humains ?! Ca nous rappelle l’histoire de la masse manquante de l’univers.

En fait, vous pouvez analyser les rapports d’accident sur tout le matériel qui est tombé ces dernières décennies, il y a pas un seul cas où on ne peut pas trouver un ou des humains qui par leur action ou leur inaction n’ont pas provoqué / permis / favorisé l’accident. Il serait plus adapté de parler de 100% de responsabilité humaine dans les cas d’accidents aériens. Le jour où nous viendra du ciel un avion fabriqué par personne, maintenu par personne, piloté par personne et que cet avion finisse dans un fort improbable crash, on pourra alors se laver tous les mains de toute responsabilité.

Pour paraphraser Coluche : c’est forcement un mec qui a écrasé l’Air France 447. C’est peut-être le copilote. Pourquoi pas ? Mais si ce n’est pas lui, c’est forcement un autre mec.

Le copilote a les statistiques et les apparences contre lui. Le moment du crash, alors qu’en France d’autres mecs dormaient, lui il était sur site. Sur la scène du crime en quelque sorte. L’arme du crime, il l’avait entre les mains. Point faible du dossier : il n’a pas de mobile.

Il reste très difficile de fonder toute l’accusation sur le document du BEA. En voici les raisons objectives :

– Ce document est non pertinent : Le BEA réalise une enquête dans le cadre de l’Annexe 13 de la Convention de l’OACI. Cette Convention encadre tous les aspects de l’investigation y compris la communication. Aucun article ne vient définir ou donner un statut quelconque à un communiqué émis pour cause… de fuites. Ce dernier n’a pas vocation à être attaché au rapport final et n’y sera probablement pas. Toutes les informations qu’il contient seront certainement complétées, mais peut-être aussi, remises en perspective sinon remises en cause.

– Les échanges ne sont pas complets : Le commandant de bord arrive dans le cockpit et ne reste certainement pas silencieux. Pourtant, pas un mot de ce qu’il dit n’est indiqué dans le document. Les échanges entre pilotes sont incomplets. Les phrases retranscrites sont juste des « editor’s picks », c’est-à-dire des passagers choisis parmi tout ce qui a pu se dire pendant ces minutes intenses.

– On ne sait pas de quelles vitesses on parle : l’enregistreur de vol n’a pas de source indépendante ou de canal privilégié pour connaitre la vitesse de l’avion. Les valeurs de vitesses sont captées au niveau de l’ADR 1 et 3 [l’ADR2 n’est pas enregistré]. Ce sont ces mêmes équipements qui fournissent les vitesses aux pilotes. Donc si la vitesse indiquée aux pilotes est fausse, celle enregistrée par le DFDR est fausse aussi. Du document émis par le BEA, il n’est pas possible de savoir avec précision quand est-ce que les vitesses sont justes et quand est-ce qu’elles sont fausses. Ce doute sera levé dans le rapport final.

– Rôle de l’Alpha Prot : l’Airbus a une protection de décrochage qui fait partie d’une loi de protection des incidences. A-t-elle pu intervenir à un moment du vol ? Quand la protection se met en place, le comportement du stick dans le sens à cabrer change. Le fait de tirer sur le stick va commander une incidence plus élevée qui n’ira pas au delà d’une valeur maximale dite alpha max. A ce moment, pour l’avion devient moins réactif en tangage et pour la même action sur le stick il va moins se cabrer.

– La chronologie des événements n’est pas rigoureuse : A 2h10min51sec il est dit qu’une quinzaine de secondes plus tard, les vitesses deviennent cohérentes. Donc, à 2h11min06sec les vitesses sont cohérentes. Il est dit, en petit sur la prochaine ligne, que l’incohérence entre les vitesses a duré moins d’une minutes. Disons donc 59 secondes. Ceci veut donc dire que l’incohérence entre les vitesses est apparue au plus tôt à 2h10min07sec. Donc avant 2h10min07sec les vitesses étaient cohérentes. Alors pourquoi à 2h10min05sec le pilote automatique puis l’auto-poussée se désengagent et le PF annonce « j’ai les commandes » ? Le pilote automatique s’était-il désengagé alors que les vitesses étaient cohérentes ?

– Juxtaposition d’événements n’ayant pas nécessairement de rapport de cause à effet : A 2h10min05sec on dit que le pilote donne un ordre à cabrer et immédiatement après que la vitesse baisse vers 60 nœuds. Pour provoquer une telle chute de vitesse, il ne faut pas donner un ordre à cabrer, mais tirer comme un malade sur le stick et encore ! L’A330 n’est pas un avion de chasse. Il faut beaucoup de volonté même de hacking pour faire passer la vitesse à 60 nœuds en donnant un simple ordre à cabrer. On note aussi, que c’est à ce moment que semble commencer l’incohérence des vitesses. Il n’est donc pas approprié d’associer l’ordre à cabrer du pilote et la baisse brutale de la vitesse.

– Notions non quantitatives : le pilote donne un ordre un cabré. Quel est l’amplitude de cet ordre. A-t-il tiré franchement sur le stick ? Un peu ? Un tout petit peu ? En fait, quand les vitesses de décrochage sont testées, ceci se fait avec le centrage le plus en avant possible. Un avion au centrage avant décroche à une vitesse plus élevée qu’un avion au centrage arrière [si vous avez oublié pourquoi, posez la question en commentaire SVP]. Par contre, pour les tests de manœuvrabilité lors du décrochage, le centrage est au maximum arrière. A ce centrage, l’appareil est instable et a facilement tendance à cabrer. Quelles sont les caractéristiques de vol de l’A330 en loi directe et centrage arrière ? (Est-ce qu’il y a là dehors un pilote de ligne qui a été familiarisé avec ces caractéristiques ?)

– Trous importants dans l’emploi du temps : A 2h12min02sec nous sommes environ deux minutes et demie avant l’impact. Vu le taux de chute moyen, l’avion doit voler vers le niveau 250. A ce moment, le pilote fait le geste que la terre entière lui reproche de ne pas avoir fait. Les gaz sont réduits. Le BEA écrit même le mot IDLE (RALENTI) en majuscules pour éviter qu’on le rate. Le PF fait des actions à piquer. L’incidence diminue et les vitesses deviennent valides. Puis pendant 90 secondes, le document ne dit pas ce qui se passe. Pourtant, c’est crucial. Que s’est-il passé pendant ces 90 secondes ? Pourquoi la récupération échoué alors qu’il y avait évidement les bons paramètres et qu’il restait 25000 pieds d’altitude.

– Qui a bougé le PHR ? Entre 2h10min51 et 2h11min51 le plan horizontal réglable passe de 3 à 13 degrés [son maximum est de 14 degrés]. Sachant que les vitesses deviennent cohérentes au milieu de cet intervalle. C’est-à-dire à 2h11min06sec, qui a bougé ce PHR à cabré ? Est-ce le pilote ? Est-ce les automatismes de l’appareil ? Est-ce un scenario d’interaction entre les deux ? Etant donné l’angle de cabré hors normes atteint plus tôt en toute facilité par l’avion, quelle motivation avait le pilote de mettre le PHR à contribution ?

– Utilisation d’une information non disponible aux pilotes : l’incidence n’était pas disponible aux pilotes. Celle-ci est enregistrée et connue par les systèmes de l’appareil mais jamais affichée (Si on veut couper les cheveux en quatre, on peut dire que certaines valeurs d’incidence sont affichées sur le PFD sous forme de vitesses quand l’avion vole aux grands angles. Mais il n’y pas d’indicateur qui donne à chaque instant l’incidence effective de l’aile.). Pour se mettre dans la tête du pilote, on doit faire abstraction de cette information d’incidence. Notamment, en tombant à plat, un avion peut tout à fait avoir une assiette nulle, mais une incidence supérieure à 40 degrés. Dans le cas de cet accident, au moment de l’impact, l’avion avait une vitesse verticale égale à sa vitesse horizontale. S’il avait été à plat, il aurait eu une incidence de l’ordre de 45 degrés.

– Utilisation d’informations de seconde main : A 2h10min16, le PNF dit « alternate law ». Ce que disent les pilotes dans ces situations là ne correspond pas toujours à la réalité. Ce qui est enregistré c’est l’expression de l’opinion des pilotes à ce moment. Le pilote vient de constater que l’avion est passé en alternate law. Cet événement per se a pu se passer à 2h10min16 ou probablement un peu avant. Pour le savoir avec précision, il faut se référer à l’enregistrement DFDR comme le fera le BEA dans le rapport final.

– Qu’a fait le thrustlock ? Dans les 13 cas d’incidents sondes sur A330, il y en a 10 où le système thrustlock est entré en jeu. Qu’en est-il pour l’AF447 ? Ce vol a-t-il été la règle ou l’exception ? Pour info, ce système bloque le régime des réacteurs à la valeur qu’il avait juste avant le problème.

On peut continuer ainsi pendant des pages et des pages. Dire aujourd’hui que c’est le copilote qui a fait planter l’avion, c’est répondre de manière arbitraire à toutes les questions ci-dessus. C’est compléter arbitrairement les vides et arbitrairement figer une chronologie.

Quand le rapport final sera en ligne, on pourra reprendre cette discussion. Si à ce moment il apparait que c’est le pilote qui a perdu le contrôle de l’appareil, ça sera mis en évidence. On pourra alors reparler du copilote, non pas pour l’accabler, mais pour comprendre pourquoi il est encore possible de perdre le contrôle d’un avion de ligne à la pointe de la technologie. Et subsidiairement pourquoi des un nombre important de mecs représentant une masse salariale assez conséquente laissent un avion voler avec une défectuosité grosse comme le Dôme des Invalides. C’est cela même l’esprit de l’Annexe 13 de la Convention de l’OACI.

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