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Doctrines de Pertes de Controle / Décrochages : Compagnies contre Constructeurs

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Voici la rediffusion d’un article que j’avais publié en octobre 2007 sur ce site. Il compare deux doctrines concernant la gestion des décrochages. Ceci est une tentative pour comprendre pourquoi l’Airbus A330 du vol AF447 est resté cabré et les moteurs à fond pendant les quatre minutes et demi qu’a duré sa chute. Vos commentaires au sujet de cet axe réflexion seront très appréciés.

Procédures contre approche générale
Les compagnies aériennes fonctionnent en procédures qu’elles mettent à disposition des pilotes. Ces derniers sont formés en simulateur pour agir selon des check-lists standards fabriquées par leur compagnie aérienne. Les instructeurs valident l’apprentissage de chaque pilote et chaque fois que celui-ci applique les procédures correctement, il sauve son avion de la situation dangereuse. De leur coté, les instructeurs utilisent les procédures pour obtenir avec leurs pilotes des résultats uniformes, vérifiables et reproductibles. Les compagnies veulent également des procédures qui soient faciles à enseigner et qui fonctionnent sur tous les avions de leur flotte.

Les constructeurs d’avions voient les choses sous un autre angle : pour eux, il n’y a pas de perte de contrôle type et pour cette raison il ne saurait y avoir de procédure de récupération type ! Chaque perte de contrôle est différente et les pilotes devraient être formés dans un contexte très large leur permettant de gérer n’importe quelle perte de contrôle même s’ils ne l’ont jamais rencontrée précédemment en simulateur.

Trim : le mot interdit
Chez les compagnies aériennes, l’apprentissage de la gestion des pertes de contrôle suit toujours le même scénario : la perte de contrôle est due à un moment d’inattention qui met hors de son enveloppe de vol un avion correctement trimé (compensé). Hors, dans cette situation, le pilote a des commandes de vol avec une autorité totale permettant une récupération plus facile.

Les constructeurs considèrent cette approche comme simpliste et auraient souhaité que les compagnies enseignent aussi à leurs pilotes des techniques de récupération qui incluent l’usage du trim. Les compagnies aériennes sont très fermes sur ce point : la récupération doit se faire qu’en utilisant les commandes de vol primaires. Il n’est pas question de toucher au trim. En effet, les instructeurs ont peur de deux choses. D’abord, que les pilotes cherchant à corriger une situation hors trim ne font que l’empirer. D’un autre coté, sur certains vieux appareils encore en service, il est possible d’avoir des situations de déroulement de trim.

 

Le décrochage 
Dans les compagnies aériennes, les pilotes s’entrainent à gérer non pas des décrochages, mais des approches de décrochages. En simulateur, la vitesse est baissée jusqu’au déclenchement du stick shaker. A ce moment, le pilote récupère de la manière suivante : il pousse les manettes de gaz à fond et maintient le cabré de l’avion pour éviter de perdre de l’altitude.
Pour les constructeurs, les pilotes doivent aussi apprendre à gérer des situations de vrais décrochages. Lors de telles situations, il est impossible de ne pas perdre de l’altitude et les pilotes ne devraient pas essayer de ne pas en perdre. Au contraire, il faut pousser sur le manche pour permettre à l’avion d’accélérer et baisser son incidence.

De plus, les constructeurs insistent sur le distinguo entre décrochage et… décrochage. Pour eux, il est trop facile de récupérer un avion si on va juste un tout petit peu après l’angle de décrochage. Dans ce cas, l’appareil a encore beaucoup trop d’énergie qui facilite sa reprise en main. Ils souhaiteraient voir les pilotes de ligne apprendre à aller vers des décrochages profonds avec une perte importante de vitesse.

Réduire la poussée des moteurs montés sous les ailes
Les compagnies aériennes ne veulent pas entendre parler de ce qui va suivre mais c’est un point important. En effet, lors du décrochage réel, les commandes de vol ont une faible réponse et le pilote ne peut pas empêcher la perte d’altitude. A ce moment, il est important de faire piquer l’avion. Pousser sur le manche, peut ne pas être suffisant. Pour les avions dont les moteurs sont sous les ailes, les constructeurs recommandent vivement de réduire le régime des réacteurs. La poussée de ces derniers passe sous le centre de gravité et provoque une forte tendance à cabrer qui peut maintenir l’assiette trop élevée pour permettre une récupération.

Les avions de voltige ont un moteur tellement puissant qu’il peut les arracher d’une situation de décrochage même s’ils restent relativement cabrés. Les réacteurs des avions de ligne sont incapables d’une telle prouesse et un Boeing ou un Airbus ne sortira pas de son décrochage tant que son assiette ne baisse bas.

Rappel important des constructeurs d’avions : dans une situation inusuelle, si l’avion est en décrochage, il faut d’abord le sortir du décrochage avant de vouloir corriger l’attitude inusuelle. Ceci est connu, mais souvent ignoré en situation réelle.

 

L’utilisation de la gouverne de direction
Dans les compagnies aériennes, les instructeurs, souvent d’anciens pilotes de chasse, enseignent le contrôle des avions de ligne aux palonniers quand l’avion est proche du décrochage. En effet, il est notable que la gouverne de direction garde une bonne autorité à faible vitesse et permet une action en roulis que les ailerons ne permettent plus.

Les constructeurs sont farouchement opposés à cette démarche. Pour eux, si la gouverne de direction fonctionne correctement aux faibles vitesses sur les avions de chasse, il n’en est pas de même sur les avions de ligne. Ceux-ci ont plus d’inertie et une action inconsidérée sur la gouverne de direction à l’approche du décrochage peut créer une perte de contrôle à plus forte raison si les volets sont sortis.

Chez certaines compagnies, le mot d’ordre a effectivement changé et les instructeurs recommandent aux pilotes d’y aller doucement sur la gouverne de direction. Cette dernière doit être utilisée avec beaucoup de circonspection en en conjonction avec un mouvement d’ailerons pour aider ces derniers. Par contre, jouer tout le temps avec les palonniers est le moyen le plus rapide de provoquer un glissade et une sortir du vol contrôlé.

L’usage du simulateur de vol
Le simulateur de vol est un appareil qui fait voler un avion virtuel dont la fidélité dépend de la qualité des données qu’il contient. Les pilotes d’essai ne se mettent pas volontairement en danger pour fournir des chiffres aux simulateurs de vol. De plus, même quand leurs avions arrivent dans des situations inusuelles, elles ne sont pas assez nombreuses pour fournir un modèle valable.

Le simulateur fonctionne bien dans le domaine de vol de l’avion. Par contre, dès qu’on commence à s’approcher des limites de ce domaine, sa fiabilité baisse jusqu’à ne plus être représentative du tout. Par exemple, si on tire sur le manche pour décrocher mais qu’en même temps on donne un gros coup de palonniers pour provoquer une glissade, le simulateur ne va pas correctement intégrer cette dernière. Ceci nous ramène au point précédent et explique pourquoi les avions simulés ne font aucune mauvaise surprise aux pilotes qui les contrôlent à la gouverne de direction aux abords du décrochage.

Lectures connexes :
– ABX 827, accident à cause d’un simulateur de DC-8
– Perte de contrôle du vol China Airlines vol 676
– Perte de contrôle sur vol China Airlines vol 140

Source :
– Article de Mr William Wainwright, Chef Pilote d’Essai chez Airbus Industries [Pilote d’essai du A330]

1 COMMENT

  1. Nous soulevons là, le problème de l’évolution dans la formation des pilotes. Aujourd’hui les pilotes de ligne ne savent plus piloter avec leurs fesses.
    De plus, le contexte de circulation aérienne, impose des espacements verticaux très réduits qui impose aux avions un maintien de l’altitude très fin.
    Mais pour visualiser le problème, voici une constatation. Dans les années 70/80 les pilotes de la postale sur transall venaient régulièrement s’entraîner sur le simulateur 3 axes de Toulouse. Les équipages demandaient très souvent à faire une approche GCA aux minimas. Cela leurs imposaient à une approche totale en manuel, chose qui ne maîtrisaient pas vraiment bien.

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