…Si la fumée baisse, on continue le vol jusqu’à la destination, si elle ne baisse pas, on peut enfin considérer un atterrissage d’urgence.
Plusieurs écoles s’affrontent sur ce point. Certaines compagnies ont des checklists très catégoriques. On peut y lire dès le début : « Ne retardez pas la descente ou la diversion pour chercher la source de la fumée ! ». Dans cette procédure, la réaction se résume à mettre son masque, avertir la tour de contrôle et le personnel de cabine, puis plonger vers la première piste venue. La descente est un élément important et ce n’est pas la même chose que la diversion. Certains recommandent de descendre à l’altitude minimale du secteur ou même le plus près possible de l’eau dès les premiers signes de fumée. Ceci n’interdit pas de chercher la source par la suite, ni de tenter de rejoindre un aéroport proche si la situation le permet encore. L’idée dominante de cette philosophie est de se dire que si les choses se dégradent, on a intérêt à ce que l’avion soit le plus bas possible pour qu’un amerrissage ou qu’un atterrissage de fortune soient encore possibles pour sauver des vies.
En tout état de cause, quand l’équipage perçoit de la fumée, il y a deux issues possibles.
1 – Soit il n’y a pas de feu incontrôlé et donc pas de menace sérieuse,
2 – soit il y a un feu et il y aura crash, volontaire ou non, dans quelques minutes.
Malheureusement, force est de constater que les checklists interminables ne tiennent pas du tout compte de la seconde situation. Elles tablent toutes sur une situation sans gravité.
Ceci montre aussi un aspect souvent ignoré du grand public qui juge les pilotes selon leur réaction à telle ou telle situation. Les équipages, d’où qu’ils viennent, ont tous la même formation et les mêmes connaissances fondamentales. Par la suite, ce sont leurs compagnies qui vont les former et les entrainer à suivre des procédures spécifiques en situation d’urgence. Un équipage qui réagit mollement à une situation grave, ne fait que reproduire la politique de sa compagnie. Les drames aériens ne sont pas des accidents qui arrivent à des individus, mais à des organisations.
Le feu dégrade progressivement les systèmes des avions et finit par les rendre incontrôlables. De plus, la fumée ne doit pas être considérée juste comme un symptôme ! C’est un mal en soit. Des fumées toxiques en provenance d’un tas de valises entrain de se consumer en soute peuvent tuer tous les occupants d’un avion avant même de représenter un danger pour les différents systèmes techniques.
Varig vol 820
Cet accident arrivé à Paris en été 1973 illustre la dangerosité des fumées toxiques dégagées par un incendie. Le Boeing 707 avait décollé de Rio de Janeiro au Brésil pour Paris. A son bord, avaient pris place17 membres d’équipage et 117 passagers. Le long vol se déroule normalement et la descente commence sur Orly. Alors qu’il passe le niveau 80, les pilotes déclarent une urgence. De la fumée dense surgit dans le cockpit et dans la cabine.
Le contrôleur aérien change les plans et autorise l’avion à atterrir sur la piste 07 au lieu de la 26. C’est l’approche la plus directe même si elle doit se faire en vent arrière. Les pilotes mettent leurs masques à oxygène, mais rapidement la situation se détériore à tel point qu’ils ne peuvent même plus lire les instruments, ni voir ce qui se passe au dehors. En désespoir de cause, le commandant de bord ouvre son hublot et une partie de la fumée est dissipée.
Sur les avions de ligne, les hublots situés sur le coté du cockpit peuvent s’ouvrir en coulissant vers l’arrière. Une ouverture en vol est impressionnante, mais pas nécessairement dangereuse. Le vent s’engouffre dans le cockpit, mais sa puissance reste limitée parce que le hublot est presque latéral. Une carte Jeppesen clipée sur le manche n’est ni arrachée, si déchirée par ce vent relatif. Par contre, la communication entre les pilotes est réduite et ils doivent échanger en gestes étant donné le niveau de bruit ambiant. Certains pilotes recommandent d’ouvrir le hublot en vol en cas de fumée incontrôlée mais de nombreuses compagnies aériennes l’interdisent expressément. En Effet, il n’est pas possible d’entrainer les équipages à cette manœuvre au simulateur ni pendant des vols avec passagers.
Le 707 de Varig est à cinq kilomètres de la piste. C’est un peu plus d’une minute de vol, mais c’est une minute de trop. La situation est si intenable, que les pilotes décident d’atterrir sans plus attendre. Des champs se présentent, le commandant de bord sort les volets à 80 degrés et réduit les gaz. L’avion se prend d’abord dans des arbres puis arrive contre le sol meuble où il glisse puis finit par s’arrêter après d’importants dommages aux réacteurs et à la voilure.
Les pilotes sortent par le hublot et se retrouvent à l’air libre. Rapidement, les pompiers arrivent de l’aéroport et des communes avoisinantes. Une porte est ouverte, mais seule une lourde fumée noire s’en échappe. Il n’a aucun signe de vie. Un seul passager respire encore, ce sera le seul survivant. Le crash fit 123 victimes, toutes tuées par la fumée.
La cabine ne fut pas endommagée lors du crash
L’enquête détermina que le feu avait commencé dans les toilettes situées juste derrière le cockpit et avait généré un important dégagement de gaz toxiques. Tout en restant confiné à cet endroit et sans jamais menacer les systèmes de l’avion, ce feu provoqua un crash avec un bilan catastrophique. La cause même du déclenchement de l’incendie ne fut jamais établie avec certitude, mais à une époque où les passagers avaient le droit de griller une cigarette en vol, il ne faut pas chercher trop loin.