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CFIT : KAL 801

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Parmi les questions que se pose le passager anxieux, celles-ci figurent souvent en bonne place : les pilotes sont-ils bien reposés ? Sont-ils compétents pour le vol qu’ils font ? Connaissent-ils leur avion ? Ce jour là, la réponse était trois fois non.

Le 747-300 est un des avions les plus impressionnants qu’on puisse rencontrer de nos jours. Avec ses deux ponts, ils capable d’accommoder plus de 500 personnes quand les compagnies aériennes « bourrent » bien. Heureusement, ce soir là, l’avion ne transportait « que » 254 personnes entre passagers et membres d’équipage.

Le commandant de bord, se trouve presque par hasard dans cet avion. Il était d’abord programmé sur un autre vol pour les Emirats Arabes Unis. Mais quand il arrive à l’aéroport de Séoul, Kimpo International, le service des plannings se rend compte que le vol est trop long pour être effectué par un homme qui n’a pas encore eu le repos réglementaire depuis son dernier vol. On décide alors de lui attribuer un vol plus court : Séoul – Guam Won Pat International.

Peu connue du grand public, Guam est une île du Pacifique nord. Elle se trouve à mis chemin sur une ligne nord-sud reliant le Japon à l’Australie. Les habitants cette île sont des Chamorons. Ils sont tous de nationalité américaine depuis qu’en 1899 les Etats-Unis achetèrent cette île à l’Espagne pour la somme de 20 millions de dollars. Le traité qui officialisait ce transfert et mettait fin à des années de guerre fut signé à Paris. L’île fut découverte en 1521 par Magellan lors d’une expédition qui se termina très mal. Sur les occupants de trois navires, seules 18 personnes allaient avoir la chance de revenir chez elles. Occupée par les japonais pendant 3 ans lors de la seconde guerre mondiale, cette île allait devenir le seul territoire américain en mains ennemies. Même si le tiers de la surface est occupé par des bases de la Navy qui gère effectivement tout Guam, l’île est ouverte aux visiteurs de tous pays depuis 1962. Ceci explique le nombre de vols civils vers l’aéroport de Won Pat. Guam comporte beaucoup de curiosités, dont le sergent japonais, Shoichi Yokoi, qui été retrouvé en 1972, caché dans une caverne pensant que la seconde guerre mondiale n’était pas encore terminée.

Vers 21 heures 30, le 747 décolle pour un vol prévu pour durer environ 4 heures. Le CVR, qui enregistre les voix dans le cockpit, n’a qu’une capacité réglementaire de 30 minutes. Aussi, la dernière demi heure d’un vol est-elle toujours la mieux documentée. Par contre, le FDR permet garde, en moyenne, les données des 25 heures de vol précédentes. En cas de besoin, il permet de remonter plusieurs vols auparavant.

L’enregistrement commence au moment où l’équipage entame sa descente. Les pilotes critiquent vivement la compagnie qui les « exploite jusqu’au bout » selon leurs propres termes. L’ambiance est maussade dans le cockpit. Les hommes sont au bout de leurs ressources et soupçonnent leur compagnie de rapprocher les heures d’arrivée et de départ des vols internationaux afin de ne pas leur laisser le temps d’aller à l’hôtel et économiser ainsi les frais des nuitées.

Beaucoup de compagnies, certaines insoupçonnées, utilisent des stratagèmes de bas niveau pour économiser un tant soit peu sur les frais de fonctionnement. Swissair, par exemple, durant les années précédent sa faillite, économisait des nuits d’hôtel en faisant dormir son personnel dans les avions. Ainsi, des hôtesses de l’air réalisaient un vol Zürich – Tokyo et dès l’arrivée, elle reprenaient un vol de retour de la compagnie à bord du quel elles se « reposaient ». Ceci n’est pas réalisé avec les pilotes, mais seulement avec le personnel commercial, dit PNC. Il faut cependant rappeler que la présence, le nombre et la fonction des PNC sont régis par la Loi. Ces personnes sont à bord, avant tout, pour assurer la sécurité des passagers surtout en cas d’évacuation ou d’incident. Si on ronge sur leurs heures de sommeil, rien ne dit qu’ils auront les réflexes et la rapidité qu’il faut si un jour l’avion est en feu sur un champ de vaseux dans le prolongement de la piste.

Les périodes de repos et de travail des pilotes sont très réglementées. Mais comme partout, il est possible à des compagnies véreuses de tricher.

Lorsque les données sont reçues du contrôle de Guam, il y a une bonne et une mauvaise nouvelle. Tout d’abord, la météo est claire et permet de faire une approche à vue [en pleine nuit], par contre, le faisceau glide de l’ILS est en panne. L’ILS est un système qui permet aux pilotes de poser sans références visuelles. Dans le cockpit, il se matérialise sous forme de deux aiguilles. L’aiguille verticale symbolise l’axe de piste. Elle dit au pilote d’aller à droite ou d’aller à gauche. Par conte, l’aiguille horizontale, celle du glide, se déplace en indiquant au pilote s’il est plus haut ou plus bas que le plan de descente. Cette information est vitale pour éviter de se retrouver plus haut, ou plus dangereux encore, plus bas que le plan de descente. L’ILS peut être suivi par le pilote automatique et apporte un tel confort aux pilotes que ces derniers ne sont jamais contents d’apprendre qu’ils doivent s’en passer.

C’est le commandant de bord qui fait l’approche. Le copilote l’aide à la conduite de l’avion alors que le mécanicien, l’OMN, surveille les paramètres des moteurs.

Guam est une île à peine vallonnée et ne présente aucun relief inquiétant. Néanmoins, c’est un endroit où la météo change très vite. Les nuages qui naissent plus loin sur le Pacifique sont poussés par vent et viennent parfois déverser des torrents de pluie sur la terre.

Quand le copilote écoute la dernière météo, il n’en croit pas ses oreilles. De lourds nuages se sont rassemblés aux environs de l’aéroport et l’approche risque d’être plus mouvementée que prévu. On annonce même des cumulonimbus ! Averti de la situation, commandant de bord ne semble pas s’en émouvoir. A partir de ce moment, il va sombrer dans un autisme dont il n’en sortira jamais.

Le contrôleur contacte le 747 pour l’autoriser à atterrir et rappelle à l’équipage que glide n’est pas fonctionnel. Pourtant, juste après cette communication, le CVR capte ce bout de dialogue :

L’OMN : Alors finalement ils fonctionne ce glide ou pas ?
Le commandant : Oui, il fonctionne.

Timidement, le copilote essaye de démentir ses collègues mais personne ne l’écoute. L’avion passe dans une zone de pluie et la visibilité devient très mauvaise.

Normalement, quand le glide n’est pas en service, dans l’avion, l’aiguille correspondante est automatiquement cachée et remplacée par un petit drapeau rouge. Mais ce jour là, pour une raison inconnue, l’aiguille sort et reste alignée à peu près au milieu. Le commandant de bord la suit, mais à plusieurs reprises, il tient des propos qui laissent penser qu’il n’est pas totalement sûr de son choix. Alors que l’approche est bien engagée, il va poser cette question ahurissante :

– Alors à la fin, il marche ou pas ce glide ?

Il lui suffit de contacter la tour de contrôle pour tirer l’affaire au claire. Mais il n’en fera rien préférant jouer à la roulette russe avec sa vie et celle de ses passagers.

Soudain, le GPWS s’active. La voix synthétique lance un grave avertissement aux pilotes : « Sink rate ! Sink rate ! ». L’équipage a alors une réaction irresponsable et qui prouve par ailleurs que ces pilotes de KAL ne savent pas comment fonctionne un GPWS. Le copilote regarde son variomètre et voyant que le taux de descente n’est pas excessif il dit exactement ceci au commandant :

– Sink rate ok !

Si ont veut sauver des vies dans le future, voici une phrase qu’on peindre en caractères de un mètre de haut sur tous les avions : « Le GPWS s’en fiche de ton variomètre ! ». En effet, le variomètre fonctionne avec le radioaltimètre. Ce dernier envoi des ondes vers le sol puis mesure le temps qu’elles mettent pour aller et revenir. De cette façon, il mesure exactement la distance entre l’avion et le sol. Aussi, quand le GPWS dit que le sol est proche, c’est qu’il est vraiment proche. Que l’avion soit en pallier, en montée ou en descente, le GPWS ne se trompe jamais.

Le commandant continue alors la descente. Le variomètre affiche un taux de 1’400 pieds par minute, mais comme le sol monte aussi vers l’avion, la perte de hauteur est bien plus forte. Le GPWS AlliedSignal qui équipait cet avion déclanche l’alarme « Sink Rate ! » quand le sol s’approche à plus de 2’500 pieds par minutes. Lors des phases d’atterrissage, quand le train est sorti, l’alarme « Whoop ! Pull up ! » est inhibée.

Soudain, le mécanicien de bord jette un coup d’œil sur le radioaltimètre :

– 200 pieds ! lance-t-il

C’est environ 60 mètres, soit 2 mètres de plus que l’envergure de l’avion. Le copilote intervient :

– Et si nous faisions une remise des gaz ?

C’est exactement en ces termes qu’il pose la question. C’est évident, il a peur du commandant de bord. Il existe en effet une espèce de commandants incompétents et imbus de leur personne. Ils sont arrivés à des positions élevées plus par un jeu de politique que par mérite personnel. Ce jeu existe dans toutes les entreprises et les compagnies aériennes n’ont aucune raison de faire exception à la règle. Alors qu’un équipage doit travailler en commun à la conduite du vol, ces commandants intimident et méprisent leurs collègues et mettent, de fait, la sécurité de l’avion en péril. Les compagnies les plus modernes ont éradiqué ce genre de personnages. Hélas, ce n’est pas le cas partout et les rapports d’accidents en disent long sur les méfaits de ces commandants stupides et dangereux. D’après le NTSB, lors de 80% des CFIT, c’est le commandant de bord qui est aux commandes. 20% seulement se passent quand le copilote est aux commandes. La raison est simple : quand le type de commandants de bord évoqués ici sont aux commandes, les copilotes n’osent pas leur dire que l’avion va vers le sol.

Le copilote retente le coup une nouvelle fois en reformulant sa requête :
– On ne voit pas la piste, remise des gaz !
– Remettez-les gaz ! crie le mécanicien

Tout mollement, monsieur le commandant de bord commence à tirer sur le manche. L’avion commence à ralentir sa descente, mais le sol en pente de la colline continue à venir rapidement vers lui. Le GPWS égrène la hauteur restante à toute vitesse. Voici le macabre compte à rebours qu’entendent les pilotes :

– Cent !
– 50 !
– 40 !
– 30 !
– 20 !
– 10 !

Boum ! Enregistre le CVR. L’avion tape violemment contre le sol et explose. Les débris sont projetés sur plusieurs centaines de mètres et une boule de feu monte dans le ciel. L’incendie ravage la scène du drame et vient à bout des corps et des blessés qui n’auraient pas pu s’extraire.

Les secours sont d’abord avertis par un particulier qui voit les flammes, puis par la tour de contrôle. Il est deux heures du matin, le capitaine des pompiers est réveillé par le téléphone qui sonne à son domicile. Sa femme le voit sortir et s’arrêter pétrifié sur le pas de la porte : au loin, à l’autre bout de l’île, le ciel est rouge annonçant un rude combat avec le feu.

Sur leur route vers le site du crash, les sauveteurs trouvent le chemin barré par un lourd tube de pétrole que l’avion a arraché dans sa course finale. Alors que certains essayent en vain de l’enlever, d’autres décident de continuer à pied dans la nuit et à travers une dense végétation. Leurs seuls repères : le feu et les cris des rescapées.

Sur place, c’est le spectacle de désolation habituel. L’avion s’est scindé en cinq gros morceaux, mais des milliers d’autres débris sont éparpillés partout. Malgré la pluie, le feu consomme les restes à toute vitesse. Trente et une personnes sont retrouvées en vie mais presque toutes sont sérieusement blessées. Les premiers secours sont donnés sur place en attendant l’arrivée des renforts. Mais le jour est encore trop loin. Plusieurs passagers décèdent malgré l’acharnement des secouristes. Pour compliquer les choses, l’endroit est infesté de serpents alors que les premiers arrivés n’avaient que des lampes de poche de faible puissance. Certaines personnes sont prises dans des tas de ferraille jetés en des endroits glissants et inaccessibles.

Les pompiers de l’aéroport mettent beaucoup de temps à s’organiser. Leur véhicule est en piteux état et refuse de démarrer. Ce n’est qu’après l’accident qu’ils recevront les fonds qu’ils demandaient depuis des années afin de restaurer leur équipement.

Des hélicoptères de la Navy interviennent pour transporter les blessés à l’hôpital en état d’alerte. Mais malgré leur connaissance du terrain, les pilotes doivent abandonner la partie devant la dégradation des conditions météo. Le dernier blessé arrive aux urgences de Guam Memorial Hospital par ambulance bien après 7 heures du matin.

Dans la journée de ce 6 août 1997, les enquêteurs du NTSB commencent à arriver sur les lieux. Comme c’est souvent le cas lors de crashs sur le sol, les boîtes noires sont rapidement retrouvées puis envoyées sur le continent pour dépouillement et analyse.

Une fois l’enquête sur le terrain achevée, des auditions publiques de divers témoins réalisées. Des survivants, des responsables de Boeing et de KAL sont invités à déposer. Les récits de ceux qui ont réchappé au désastre sont les plus poignants. Une passagers raconte qu’il a du se frayer son chemin à travers de la fumée, des bagages et un inextricable fouillis composé de sièges tordus et de cadavres. Une femme a vu son mari qui était assis à ses côtés se faire « avaler par une boule de feu ». Un steward a eu plus de chance, alors qu’il était sur son siège, il a senti l’avion toucher le sol, vibrer et commencer à se disloquer. Lui-même a été éjecté et s’est retrouvé couché dans l’herbe encore attaché à son siège. Il n’a eu qu’à détacher sa ceinture pour se relever et commencer à aider ceux qui en avaient encore besoin. Le témoignage le plus précis est celui d’un pilote professionnel d’hélicoptère. Cet homme a eu la vie sauve parce qu’il a détaché sa ceinture au bon moment et a sauté à travers une brèche dans le fuselage. Derrière lui, il laissait des gens qui criait avant que le feu ne vienne les dévorer. Selon son récit, l’avion a touché le sol assez brutalement faisant penser à un atterrissage dur. Puis des vibrations s’intensifient et l’appareil commence à se disloquer. Immédiatement de la fumée se forme suivie par un feu rapide et explosif. Ceci explique pourquoi tous les survivants sont des personnes qui ont été soient éjectées au moment de l’impact, soient qui sont restées conscientes et mobiles pour s’évacuer immédiatement.
Le témoignage du directeur des opérations de KAL fit également grand bruit. Devant la commission publique, cet homme n’épargne personne :

– Je pense que les dirigeants de KAL ont la vue courte et les objectifs à court terme et sont de nature superficielle. Si nous nous mettons comme but de réaliser des objectifs de sécurité à long terme, nous devons changer le mangement et investir plus dans la formation et l’entraînement des pilotes.

La compagnie prend très mal ces propos et dans un communiqué, elle loue les dirigeants et demande au NTSB d’exclure de directeur de l’enquête. Le NTSB n’accède jamais à ce genre de requêtes, pourtant habituelles, et refuse de retirer le témoignage du directeur ou de l’écarter des futures auditions. Le bras de fer NTSB/KAL ne va cependant pas durer longtemps : le directeur des opérations est retrouvé assassiné ce qui a clos de façon définitive la question de sa participation. Un an plus tard, le président de la compagnie coréenne est écarté par le gouvernement et remplacé par son suivant dans l’échelle hiérarchique.

Plus l’enquête avance, plus les disfonctionnements de KAL sont mis en lumière. Les pilotes sont souvent fatigués, surchargés, ne savent pas travailler ensemble, ont une formation lacunaire et insuffisante… Le 27 juillet 1989, un DC-10 de KAL s’était écrasé en approche à Tripoli tuant 80 personnes dans les mêmes conditions que le crash de ce mois d’août 1997.

Alors que l’enquête sur le drame de Guam suit son cours, le curriculum vitae de KAL vient s’allonger de nouveaux crash et incidents graves. Le 5 août 1998, un 747-400 quitte la piste de l’aéroport de Séoul Kimpo et se trouve fortement endommagé. Le 30 septembre la même année, même accident sur un autre aéroport du pays. Des passagers sont blessés. Le 15 mars 1999, autre sortie de piste pour un KAL, 21 personnes sont blessées. Un mois plus tard, le 15 avril 1999, un MD-11, un avion gros porteur, s’écrase au décollage sur une zone résidentielle de Shanghai en Chine. Il y a des morts dans l’avion, il y a des morts au sol. Le 22 décembre 1999, encore un 747-400 ! Cette fois ça se passe en Grande Bretagne. Au décollage de l’aéroport de Stansted l’avion décroche et s’écrase dans un champ. Une chance, il n’y avait que les 4 membres d’équipage qui sont tués sur le coup. Aucune victime n’est à déplorer au sol.

Là, il faut être clair avec le public. On dit souvent que l’avion est moins dangereux que la voiture. Ce n’est pas toujours vrai, tout dépend de l’avion et de la voiture auxquels on fait référence.

Depuis cette époque, KAL a radicalement changé son fonctionnement. De nouvelles procédures ont été mises en place et la formation des pilotes a été poussée vers des standards acceptables.

Aujourd’hui encore, il existe des compagnies bien plus dangereuses que ne l’était KAL à fin des années 90. Des entreprises qui fleurissent pendant un an ou deux, juste le temps qu’il faut pour envoyer un avion au tapis et ferment leurs portent et ouvrent plus tard sous un autre nom. Les billets sont en vente en bas de chez vous, avec le sourire en plus !

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