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Décollage sans volets : Théorie et Exemples

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Les ailes des avions de ligne sont équipées de deux sets de surfaces mobiles. La première série se trouve à l’arrière, c’est les volets. Ils sont particulièrement visibles, surtout à l’atterrissage où les pilotes les déploient totalement ou presque. Les volets utilisés sur les avions de type Boeing ou Airbus sont des volets de Fowler. Littéralement de petites ailes qui sont reculées et braquées en même temps. En plus, sur les Airbus, le point neutre des ailerons externes est abaissé lorsque les volets sont sortis. Les ailerons participent aussi à l’hypersustentation.

Les volets Fowler, installés en bord de fuite, augmentent le coefficient de portance (Cz) à incidence égale. Mais fondamentalement, l’aile est la même et donc son incidence de décrochage reste la même (elle baisse même un tout petit peu). Donc à incidence égale, les volets de bord de fuite permettent d’obtenir plus de portance.

 

Airbus A318, volets, slats
Volets et slats bien visibles sur cet Airbus A318 en approche.
 

 

Lors du décollage, les volets permettent à l’avion qui évolue à des vitesses se situant dans le bas de son enveloppe de vol d’avoir assez de portance pour quitter le sol et continuer à accélérer en l’air.

Par contre, les volets génèrent beaucoup de trainée. Le Cx de l’aile est augmenté. La finesse de l’aile se dégrade et la pente de montée est d’autant plus faible que les volets sont sortis. Par ailleurs, lors du calcul des performances au décollage, les pilotes doivent toujours agir comme si un moteur allait tomber en panne au moment le plus critique. Si la vitesse de l’avion est trop élevée (après V1), il doit pouvoir continuer à accélérer et décoller en ayant une trajectoire lui permettant d’éviter les obstacles. La pente minimale à assurer avec un moteur en panne (N-1) varie en fonction de type d’avion et en fonction du segment dans lequel il se trouve. En clair :

– Pente initiale (définition: depuis la vitesse où les roues quittent le sol, donc Vlof, jusqu’au passage des 35 pieds de hauteur).
— Bimoteur : 0% (exemple: Boeing 737, Airbus A319)
— Trimoteur : 0.3% (exemple: Boeing 727, Tristar 1011)
— Quadrimoteur : 0.5% (exemple: Boeing 747, Airbus A340)

– Pente au 1er segment (définition: depuis le passage des 35 pieds, jusqu’à la rentrée du train d’atterrissage):
Aucune performance minimale n’est exigée. Ce 1er segment est le plus difficile à traverser. L’effet sol se termine et le train d’atterrissage est en cours de rentrée et provoque une trainée très pénalistante. Ici, les pilotes aplatissent la trajectoire en attendant la rentrée du train. La seul exigence : ne pas aller au sol. Lors du vol Air Algérie 6289, le commandant de bord avait maintenu 18 degrés de cabré au manche lors du premier segment. Il ne tenta même pas de rentrer le train d’atterrissage. Ceci se termina avec 102 victimes (lire ici).

La performance sur un moteur lors du premier segment limite, entre autres choses, la courbure maximale des volets que les pilotes peuvent utiliser pour le décollage. Par exemple, sur Boeing 737 la courbre maximale pour le décollage est de 15 degrés de volets. Une butée marque cette limite au niveau du levier d’actionnement des volets pour éviter un déploiement supérieur par inadvertance. Si celui-ci était quand même réalisé, l’avion pourrait décoller mais aurait une pente de montée sur deux moteurs très faible. Il pourrait même ne plus avoir de marge vis-à-vis des obstacles situés dans la trajectoire d’envol. De plus, en cas de panne moteur, la pente du premier segment serait négative et l’avion irait au sol. On ne connait pas de cas d’accident lié à une sur-utilisation des volet lors du décollage.

– Pente au 2ème segment (définition: de la rentrée du train au passage des 400 pieds sol):
— Bimoteur : 2.4%
— Trimoteur : 2.7%
— Quadrimoteur : 3.0%

Remarquez que c’est la première fois qu’on demande quelque chose à un bimoteur. Ceux-ci sont les plus pénalisés parce qu’il perdent la moitié de leur poussée en cas de panne moteur. A titre de comparaison, un Quadrimoteur ne perd que le 25% de sa pousseé sur une panne du même type.

– Pente au 3ème segment (depuis 400 pieds)
La pente doit être positive ou nulle et l’avion doit avoir une capacité d’accélération.

– Les slats:
Ces dispositifs sont situés à l’avant de l’aile et passeraient presque inaperçus. Pourtant, ils sont plus importants que les volet de bord de fuite ! En effet, si les volets de Fowler se contentent d’augmenter la portance à toutes choses égales, les slats (dits aussi “becs de bord d’attaque”) sont les SEULS à augmenter l’incidence du décrochage. C’est-à-dire de permettre à l’aile de voler à une incidence plus élevée sans décrocher.

Les slats sont totalement déployés à l’atterrissage et au décollage. Il existe une procédure d’urgence pour atterrir sans les slats en adoptant des vitesses très élevés. Par contre, il est impossible de décoller sans les slats.

Décollage avec volets en courbure insuffisante :
De temps à autre, il est reporté un incident avec des avions tentant de décoller avec des volets en position insuffisante pour les conditions du jour. Il s’agit typiquement d’erreur d’entrée de masses qui finissent par donner des vitesses trop faibles et des positions de volets insuffisantes.

Dans ce cas, l’occurrence la plus probable est le tail strike. Quand ils ont atteint la vitesse de rotation (Vr), le pilote en fonction tire sur la manche pour cabrer l’avion. L’appareil se cabre effectivement, mais il ne s’envole pas tout de suite. Le pilote a tendance à cabrer encore plus et la queue d’appareil touche la piste en provoquant une gerbe d’éteincelles et des vibrations monstres en cabine. Aérodynamiquement, les ailes ne sont pas en décrochage, mais au Cz qu’elles affichent, la vitesse ne donne pas assez de portance pour soulever l’avion. Le contrôle latéral est suffisant et l’avion finit par quitter le sol. Le cabré est élevé et il se réduit au fur et à mesure que la vitesse augmente. Il s’agit d’un incident grave.

Exemple: le matin du 10 décembre 2006, un Boeing 747-400 (F-HLOV) de Corsair tente de décoller depuis Paris-Orly vers les Antilles. Normalement, les pilotes utilisent deux ordinateurs portables (BLT pour Boeing Laptop Tool, offerts si vous achetez un Boeing 🙂 pour calculer les performances au décollage. L’un d’eux est éteint pour un problème de batterie. L’autre est sur batterie également puis est éteint par inadvertance. Quelques distractions techniques font que le commandant de bord se trompe de 120 tonnes sur la masse au décollage. La Vr calculée est de 127 noeuds au lieu de 159 noeuds !

Lors de la rotation, l’avion touche la queue et laisse une trainée noire sur 80 mètres ! Des chasseurs inspectent visuellement l’appareil puis du fuel est jetté en vol et le 747 revient au terrain.

Lors du décollage, les pilotes ont des réflexes qui forcent le respect. Au premier signe d’anomalie (vibreur de manche), les manettes de gaz sont poussées à fond et l’assiette baissée à 11 – 12 degrès le temps que l’appareil accélère à 166 noeuds et c’est seulement là qu’il prend son envol.

La performance des pilotes est impressionnante. Il ne faut pas se tromper dessus : tant qu’il y aura des pilotes, il y aura des erreurs humaines. Là, les pilotes font preuve d’un sang froid exceptionnel et rattrapent le coup en réalisant les bons gestes, au bons moments et dans la bonne proportion. A titre de comparaison, vous pouvez voir la réaction des pilotes du TWA 843 en une situation similaire en cliquant-ici.

Décollage sans slats :
Les slats sont activés dès la première position de la manette des volets. Sur la majorités des avions de ligne, ils ont 1 à 3 positions de sortie.

Exemple Airbus A320 :
Manette sur 0 : volets 0 / Slats 0
Menette sur 1 : volets 0 à 10 / slats 18
Manette sur 2 : volets 15 / Slats 22
Manette sur 3 : volets 20 / slats 22
Manette sur FULL : volets à 35 / slats à 27

Sur tous les avions, la seule manière d’avoir 0 slats est de laisser la manette des volets sur 0. Dès que celle-ci est bougée, même sur son premier cran, on a un déploiement significatif des slats.

Une tentative de décollage sans les slats se solde toujours par un crash. En fait, l’avion accélère et il se cabre normalement lorsque le manche est tiré. L’incidence de l’aile augmente et celle-ci décroche. La trainée augmente de manière significative et la vitesse augmente peu ou pas à partir de ce point. Le contrôle latéral est perdu et le vibreur de manche est activé ainsi que les alarmes auditives de décrochage. Sur les avions qui en sont dotés (comme le MD-80), les slats se déploient automatiquement. Ce déploiment est trop lent pour empêcher la sortie de piste et le crash.

Il existe bien sûr des alarmes de configuration envoyant une puissante alarme si la configuration de décollage n’est pas correcte alors que les manettes des gaz sont poussées. Par contre, il peut arriver, et c’est déjà arrivé, qu’une telle alarme ne soit pas opérationnelle.

Exemples :
– Northwest 255 :
— date : 16 août 1987
— avion : MD-82 / N312RC
— occupants : 155
— Bilan : 154 + 2 personnes sol
— Lieu : Detroit Metropolitan, Michigan
— Synopsis : Après la rotation, l’appareil ne s’élève pas. Il s’incline à droit et à gauche de 35 degrés environ et puis sort de la piste. Il s’écrase sur un parking provoquant la mort de deux personnes au sol en plus de 154 sur 155 occupants. Les pilotes avaient oublié de sortir les slats/volets et le système d’alarme n’était pas alimenté en courant (on ne saura jamais pourquoi).

Le seule survivant est une enfant de 4 ans qui était assise à la place 8F. Elle fût brûlée au troisième degrés sur plus de 30% de son corps.

 

Trajectoire du Northwest 255
Le MD-82 de Northwest finit la piste et s’écrasa dans la prolongement de celle-ci sans savoir pris de la hauteur.
 

 

 

Débris Northwest 255
Débris du NWA 255. On reconnait une partie du nom de la compagnie ainsi que le train avant.
 

 

– American Airlines vol 191
— date : 25 mai 1979
— avion : DC-10-10
— occupants : 271
— Bilan : 271
— Lieu : O’Hare International Airport, Chicago
— Synopsis : lors du décollage, le réacteur 1 s’arrache et bascule par dessus l’aile. Il arrache des circuits hydrauliques alimentant les slats. Ceux-ci se rétractent et l’aile gauche décroche provoquant la perte de contrôle de l’appareil qui s’écrase en bout de piste. Cet accident est traité en détail ici.

 

American Airlines vol 191 crash
La rentrée des slats sur l’aile gauche provoque le décrochage
de celle-ci et le DC-10 se retrouve sur la tranche.
 

 

– British European Airways Flight 548 (BEALINE 548)
— date : 18 juin 1972
— avion : Hawker Siddeley Trident 1C (triréacteur d’environ 60 tonnes)
— occupants : 118
— Bilan : 118
— Lieu : Après le décollage de London Heathrow. L’avion est vers les 1800 pieds en montée quand un des membres d’équipage rétracte les slats par erreur. L’appareil tombe pratiquement à plat ne laissant pas la moindre chance de récupération.

 

Hawker Siddeley Trident
Hawker Siddeley Trident. On en trouve plus des masses de nos jours.
 

 

 

crash Trident Londres
L’avion est tombé presque à plat. Remarquez la faible distance entre les ailes et l’empennage.
 

 

Spanair 5022 ?
Aujourd’hui, d’après les informations disponibles, la voie des volets/slats rentrés semble très plausible. Elle est même facile à vérifier. En effet, les volets fonctionnent avec un système mécanique de visse sans fin. Celle-ci sera trouvée dans les décombres et la position réelle des volets au décollage déterminée.

2 COMMENTS

  1. Bonjour,

    N’ayant que la pratique des ailes droites (cessna 150, DR400) équipées de volets en bord de fuite uniquement, j’étais surpris de lire que les appareils de ligne ne puissent décoller sans becs de bord d’attaque.
    Au niveau aéroclub les décollages/atterrissages sans hypersustentation (volets en l’occurence) sont enseignés (par exemple décollage sur piste avec gravillons, avion à aile basse) mais jamais pratiqués au vu des distances de roulements importantes. La machine garde en revanche sa capacité à décoller ou atterrir (avec des performances modestes).
    En est-il de même sur gros porteur ou bien un décollage sans becs est-il juste impossible ?

    • Bonjour

      Pour les gros porteurs, les ailes sont relativement petites et optimisees pour le vol a la vitesse de croisiere. Donc a faible vitesse, lors du decollage, elles ont de faibles performances comparativement a un avion d’aeroclub.

      Sans les becs, un avion de ligne ne peut pas decoller. Il y a meme eu des accidents dus a une rentree prematuree des becs et l’avion, meme apres le decollage, tombe comme une pierre.

      Un oubli des becs au decollage cause un crash de maniere assuree.

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