Dans la soirée du dimanche 1er juillet 2002, la mauvaise intégration du TCAS viendra provoquer un grave accident au-dessus de l’Allemagne. Descendant du nord, un Tupolev 154M réalise un vol Moscou – Barcelone au niveau 360. Il transporte 69 personnes dont 52 enfants venant d’une zone défavorisée de l’Oural et dont le voyage est offert par l’Unesco. Remontant depuis l’Italie et arrivant sur une route convergente, un 757 Cargo de DHL, volait vers Bruxelles. Cet appareil volait également au niveau 360.
Même s’ils étaient au-dessus de l’Allemagne, les deux appareils étaient sous la responsabilité du contrôle régional de Zürich opéré par la société privée Skyguide. Sur le moment, et à cause de la faiblesse du trafic, un seul contrôleur s’occupe de deux postes de travail. D’une part, il prend en charge le trafic de l’ACC de Zürich sur la fréquence 128.050 Mhz. De plus, il répond aussi sur la fréquence 119.920 Mhz quand des avions sont en approche sur Friedrichshafen. Pour passer d’une responsabilité à l’autre, il pose son casque et pousse son siège à roulettes. Par moments, les pilotes doivent appeler plusieurs fois pour recevoir une réponse. Cet état de choses durait depuis de nombreuses années sous le regard tolérant des responsables de la compagnie de contrôle aérien.
En plus de la radio qui lui permet d’être en contact avec les avions, le contrôleur est en relation avec ses homologues des autres services et aéroports par un système téléphonique redondant. Le SWI-02 est constitué de deux lignes téléphoniques dédiées pouvant être utilisées en même temps ou séparément. Un simple téléphone relié au réseau public sert de secours. Le soir du drame, le système SWI-02 est arrêté pour maintenance. Seule la ligne normale reste disponible. Cependant, à l’heure de l’accident, toutes les lignes avaient été remises en service mais le contrôleur n’en n’avait pas été averti. De la sorte, lorsqu’il cherche à entrer en contact avec les services ATS de Friedrichshafen, il va utiliser la ligne de secours. Laquelle ligne, connait effectivement une panne ce soir là ! Ainsi, le contrôleur perd un temps précieux à essayer de faire passer un appel. Il s’y prend par sept fois mais sans succès. Pendant ce temps, son interlocuteur cherche à l’atteindre sur les lignes permanentes mais personne ne décroche. De précieuses minutes sont perdues pendant lesquelles la situation catastrophique se met progressivement en place.
DHL – Boeing 757-200
Les pilotes ont commencé leur journée peu avant midi au royaume du Bahreïn dans le Golf Persique. Après une escale à Bergamo en Italie, ils ne sont pas mécontents d’arriver vers minuit à Bruxelles où ils pourront passer la nuit. Après concertation avec le commandant de bord, le copilote quitte sa place pour aller aux toilettes. Douze secondes plus tard, une alarme TCAS retentit dans le cockpit : « Traffic ! Traffic ! ».
Dès qu’il détecte le conflit possible, le TCAS annonce sa première alarme : Taffic ! Traffic ! C’est seulement après négociation avec l’autre appareil qu’une solution d’évitement est élaborée et un ordre de montée ou de descente donné aux pilotes de manière concertée.
A 23:34:56, soit 14 secondes après la première alarme, une solution d’évitement tombe : « Descend ! Descend ! ». Sur le variomètre, un arc vert indique le taux de descente à adopter. L’idée étant de provoquer une réaction mesurée et sans excès de la part des équipages. A 23:35:10, le taux de chute du Boeing 757 est de 1’500 pieds par minute quand l’alarme du TCAS devient encore plus pressante : « Increase descent ! Increase descent ! ». Le pilote pousse encore sur le manche alors que le copilote arrive en précipitamment. En un regard, il comprend la situation et conseille au commandant de piquer de manière encore plus agressive. Ce dernier pousse sur le manche jusqu’en butée. Deux secondes plus tard, c’est l’impact. Il est 23:35:32.
Les informations TCAS sont affichées sur le variomètre.
Bashkirian Airlines – Tu 154M
Dans le cockpit de l’avion russe, il y a 5 membres d’équipage dont un instructeur présent exceptionnellement ce jour là. Le vol charter a quitté Moscou en fin de journée et s’attend à atteindre Barcelone dans la nuit du 2. La météo est estivale mais la nuit est très noire avec une lune qui ne s’est pas encore levée. Alors qu’il survole l’Autriche au niveau 360, l’équipage est autorisé à faire un direct sur Trasadingen. Cette petite commune Suisse de 500 habitants est connue par tous les pilotes qui survolent l’Europe à cause de sa balise VOR-DME haute altitude TRA 114.30 Mhz.
A 23:33:00, les pilotes commencent à discuter d’un trafic arrivant depuis la gauche. Il reste plus de deux minutes et demie avant l’impact. Une manœuvre d’évitement est largement réalisable. L’inquiétude grandit au fur et à mesure que fond la distance entre les deux appareils. Les Russes sont sûrs que quelque chose de pas normal est entrain de se passer, mais attendent d’en avoir la certitude absolue pour aviser.
A 23:34:42, soit au même instant que dans le cockpit du 757, la voix synthétique du TCAS annonce : « Traffic ! Traffic ! ». Il reste 50 secondes avant l’impact ; rien n’est encore joué. Sept secondes après l’alarme, le contrôleur ACC de Zürich demande aux pilotes de descendre rapidement vers le niveau 350. Le pilote réduit les gaz et pousse sur le manche. Au même moment, le TCAS annonce « Climb ! Climb ! ». Seul le copilote relève l’anomalie :
– Le TCAS dit de monter !
– Le contrôleur nous guide vers le bas, répond le commandant
La tension est à son comble. Les 5 membres d’équipage de conduite savent qu’un avion arrivent sur eux par la gauche, mais où est-il exactement ? Le Tupolev est en pleine descente alors que le TCAS continue de lancer : « Climb ! Climb ! ». C’en est trop pour le pilote aux commandes qui tire sur le manche tout en augmentant la puissance des moteurs. La descente cesse quand le contrôleur revient une seconde fois sur la fréquence :
– Descendez rapidement vers le niveau 350 !
Cette fois, le Tupolev replonge pour de bon. En quelques secondes, la vitesse verticale passe à -2’000 pieds par minute. Sachant que le 757 vient par la gauche, le commandant de bord braque à droite tout en continuant à pousser sur le manche. En même temps, le TCAS annonce « increase climb ! ». Seul le copilote réagit en demandant au commandant de remonter. Il n’en fera rien, mais il est déjà trop tard.
Cinq secondes avant l’impact, les pilotes sont en visuel les uns sur les autres. Le Russe comprend son erreur et tire brutalement sur le manche. En même temps, le commandant du DHL pousse complètement sur le sien en une manœuvre désespérée.
Le cercle représente le pourtour de la cabine du Tupolev.
A 23:35:32, les deux avions se percutent. La dérive verticale du DHL sectionne la cabine du Tupolev avant de se détacher elle-même ainsi que l’empennage. L’altitude est de 34’890 pieds. Les appareils étaient à 36’000 pieds au moment de l’alerte.
Après l’impact, le 757 part en vol incontrôlé et perd rapidement ses deux réacteurs. Les pilotes continuent de lutter pendant près de deux minutes que dure la chute mais l’avion part en piqué à plus de 70 degrés et termine dans un champ où il s’enterre à moitié.
Le Tupolev est coupé en deux et 40 passagers projetés dans le vide. L’avant et l’arrière tombent en se disloquant progressivement. Au sol, les débris sont retrouvés sur une superficie de 350 km2. Une aile termine dans un jardin privé. L’empennage est retrouvé sur un chemin de campagne. La police doit boucler toute la région pour procéder aux recherches et constatations.
Dans un premier temps, la société Skyguide accuse le pilote russe de ne pas avoir suivi les recommandations du contrôleur et d’avoir tardé à commencer la descente. La faute reste sur le pilote le temps que le BFU allemand termine son enquête et révèle au grand jour les disfonctionnement de cette entreprise.
Le contrôleur présent ce soir là arrêta toute activité professionnelle. Un an et demi après l’accident, il fut mortellement poignardé par un Russe ayant perdu sa femme et son enfant. La vengeance contre ce contrôleur était totalement inutile dans le cadre d’un accident impliquant tout un système de responsabilités. L’employé de Skyguide n’était pas plus responsable que la personne qui a imprimé ceci dans le Manuel des Opérations du Tupolev 154 : « Pour éviter les abordages en vol, la surveillance visuelle de l’espace aérien et l’exécution correcte de toutes les instructions du contrôle aérien doivent être considérés comme les outils les plus importants. Le TCAS est un instrument supplémentaire qui assure la détermination à temps du trafic arrivant, la classification du risque et, si nécessaire, un conseil pour une manœuvre d’évitement. ». Le TCAS n’est pas un instrument supplémentaire.
En juillet 2006, la justice allemande détermina que l’accident était de la responsabilité de l’Allemagne du moment qu’il s’est passé dans son ciel. Le fait que le contrôle fut assuré par les Suisses, ne change pas la nationalité de l’espace aérien où s’est déroulée la collision.