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Egyptair vol 990 – Suicide du pilote

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Lorsqu’un pilote met à fin à ses jours en faisant des victimes, il met beaucoup de monde dans l’embarras. Sa famille, ses collègues, sa compagnie et jusqu’à son gouvernement ne peuvent se résoudre à accepter la version des enquêteurs. De plus, se posent des problèmes inextricables avec les assurances et les réparations aux ayant droit. Le suicide peut encore s’expliquer, par contre, le crime, puisque c’est ainsi qu’il faut l’appeler, suscite toujours l’incompréhension.

Dans la nuit du 31 octobre 1999, lorsque les roues du Boeing 767-300 Extended Range quittent le sol, le copilote, Gameel Al-Batouti appartient déjà à un autre monde. Sur 214 occupants en partance pour le Caire, il y en a toujours qui se demandent s’ils vont arriver à bon port. Gameel, lui, savait que l’appareil réalisait son dernier envol.

Avec ses 12’000 km, l’Egyptair 990 est le vol le plus long, pour ne pas dire le plus fastidieux, de la compagnie. Il relie Los Angeles au Caire avec une escale à New York. Lors du départ ce jour fatidique, il y avait à son bord 203 passagers et 14 membres d’un équipage doublé. La majorité des occupants occidentaux étaient des touristes. Les passagers égyptiens étaient des militaires de haut rang qui rentraient au pays.

Il est passé 1 heure du matin quand l’appareil vire vers l’océan tout en montant vers son altitude de croisière. Au niveau 330, l’avion est stabilisé sous pilote automatique. Ce dernier est sensé veiller sur l’appareil jusqu’à ce que celui-ci soit à quelques centaines de pieds de hauteur, sur le point d’atterrir au Caire. Le commandant de bord décide de se dégourdir les jambes et en profiter pour rendre une visite de courtoisie aux gradés installés en cabine. Lui, tout comme le copilote, sont des anciens officiers de l’armée de l’air.

Resté tout seul dans le poste, le copilote ressasse les évènements de la veille. En effet, il avait de quoi s’inquiéter. Après avoir harcelé plusieurs clientes de l’hôtel américain où avaient l’habitude de descendre les équipages de la compagnie, il s’était fait surprendre et réprimander par un membre influent de l’armée égyptienne. Ce dernier, voyageant à bord du vol 990, avait promis de rapporter le cas aux autorités compétentes dès son arrivée. Pour le copilote sur le point de fêter ses soixante ans, ceci signifie, au meilleur des cas, attendre la retraite en faisant des rotations sur Fokker 27 entre les terrains oubliés de l’Afrique Sub-saharienne.

Gameel prend une longue inspiration et prononce une rapide prière « Je compte sur Allah » pour se donner du courage puis il déconnecte le pilote automatique. Pendant une dizaine de secondes, il tient le manche comme s’il hésitait. Durant cette période, ou même pendant les minutes qui précèdent, les enregistrements DFDR n’indiquent aucune anomalie qui aurait pu justifier une intervention de la sorte. Le copilote prie encore une fois à haute voix, réduit les gaz et pousse sur le manche avec détermination.

L’accélération verticale est de 0.2 G pendant la manœuvre. Les personnes non attachées décollent de leurs sièges comme si elles étaient en apesanteur. Le commandant de bord met 12 secondes à atteindre la porte du cockpit et à l’ouvrir.
– Qu’est-ce qui se passe ? Qu’est-ce qui se passe ? crie-t-il

Le copilote répond seulement par un « Je compte sur Allah » et pousse plus sur le manche faisant passer l’accélération à moins 0.2 G. Cette fois, les passagers non attachés et les objets non arrimés sont collés au plafond de l’appareil. Deux secondes plus tard, l’avion dépasse sa vitesse maximale qui est de mach 0.86 et s’approche de mach 1. A tout moment, il peut commencer à se désintégrer.

Dans le feu de l’action, le commandant de bord ne comprend pas que le copilote est entrain de commettre un crash délibéré. Il ne cesse de lui demander ce qui se passe mais la seule réponse qu’il reçoit est un monotone « Je compte sur Allah ».

Dix secondes après son arrivée, le commandant de bord réussit à atteindre son siège. A ce moment, le taux de descente est de 39’000 pieds par minute (plus de 700 km/h). Sans attendre plus d’explications, il entame la récupération de l’avion. Il déploie complètement les aérofreins et tire sur le manche.

Progressivement, le 767 commence à se redresser et la vitesse baisse également. L’altitude augmente et d’un minimum de 16’000 pieds, elle remonte à 25’000 pieds. C’est presque gagné quand le copilote frappe encore. Il coupe les arrivées de carburant des deux moteurs qui s’éteignent et continue à pousser de toutes ses forces sur le manche. Privé de génération électrique, la cabine plonge dans le noir et les enregistreurs de vol s’arrêtent. Les cris du commandant de bord ne peuvent plus rien faire et l’appareil s’écrase dans l’océan Atlantique au terme d’une longue bataille observée par radars civils et militaires installés le long des côtes.

L’avion se pulvérise contre la surface après être passé de son altitude de croisière, 33’000 pieds, au niveau de la mer en 83 secondes de montre. Quelques heures plus tard, les débris flottants furent localisés par 40° 21’ de latitude nord et 69° 49’ de longitude ouest. C’est dans cette même zone qu’avait sombré en 1957 le transatlantique italien Andrea Doria.

Quand les Egyptiens apprennent que leur avion s’est écrasé dans les eaux internationales à moins de 100 km des cotes des Etats-Unis, ils décident de confier l’enquête au NTSB tout en envoyant leurs spécialistes prêter main forte. Durant les trois premières semaines, les efforts se sont concentrés sur la recherche des enregistreurs de vol et la remontée du maximum de pièces possibles. Quand les opérations cessent pour Noël, à peu près 70% des débris ont été repêchés. A la reprise, le printemps suivant, d’autres éléments importants sont sortis de l’eau.

Dès le début des analyses, d’importantes divergences enveniment l’enquête. Quand la partie égyptienne se rend compte de l’orientation du NTSB, le ton monte. Tous les arguments, même les plus oiseux, sont utilisés pour défendre le pilote contre toute logique ou bon sens. On évoque même la fuite d’un danger imminent pour expliquer le départ vers le bas et l’extinction des réacteurs. En clair, l’ancien de l’armée de l’air égyptienne aurait cherché à fuir un missile à la poursuite du 767. Ceci n’était pas sans rappeler l’histoire du 747 du vol TWA 800 qui, en été 1996, s’était également écrasé au large de New York. Alors que l’explication officielle avance l’explosion d’un réservoir, des centaines de personnes avaient vu un missile remonter vers l’avion depuis la surface.

Cependant, le NTSB reste ferme sur ses positions. Pour les enquêteurs américains, seul le suicide est cohérent avec les éléments connus. Cet extrait traduit du rapport d’accident est très éloquent :

Immédiatement après la première plongée de l’avion, le copilote aurait du instantanément ressentir les effets inconfortables d’un facteur de charge voisin de 0 G. Il aurait du remarquer les changements soudains de l’attitude, le taux de piqué, la vitesse et l’altitude. En réponse à ses indices évidents, le copilote n’a pas tenté de contrer la plongée en actionnant la gouverne de profondeur à cabré. Pourtant, ceci est une réponse largement intuitive chez les pilotes pour initier une récupération.Le copilote n’a pas non plus montré la moindre expression d’anxiété ou de surprise ou a appelé à l’aide durant la plongée initiale de l’avion ou durant tout le reste de la séquence enregistrée. De plus, le copilote n’a pas répondu à la question plusieurs fois répétée « que se passe-t-il ? » du commandant de bord une fois que celui-ci était retourné dans le cockpit. Au lieu de cela, il a continué à répéter calmement la phrase « Je compte sur Allah » (qui a commencé 74 secondes avant la plongée de l’appareil) pendant 2 à 3 secondes puis il a gardé le silence malgré les demandes répétées du commandant de bord pour obtenir des informations. L’absence de toute réaction de la part du copilote (comme l’anxiété, la surprise, une action à cabré sur le manche ou une demande d’aide) au soudain départ en piqué de l’avion n’est pas cohérente avec le fait qu’il ait pu rencontrer un problème mécanique inattendu. Alors que la réaction audible du commandant de bord, son expression d’inquiétude et ses déclarations en réaction à la situation dès son retour dans le cockpit sont cohérentes avec la réaction d’un pilote qui rencontre des conditions de vol exceptionnelles, le comportement passif du copilote ne l’est pas.

 

De plus, l’étude du comportement du pilote durant la première phase de vol vient renforcer le scénario du NTSB. En effet, Gameel Al-Batouti faisait partie du second équipage et non pas du premier. D’après les procédures de la compagnie, il aurait du prendre sa fonction presque au milieu du vol. Or, vingt minutes après le décollage, le voilà qui surgit dans le cockpit demandant au copilote du premier équipage de partir se reposer. Ce dernier fut un peu réticent devant cette démarche inhabituelle puis finit par céder sa place.

Peu de temps après, il se débarrasse d’un autre membre d’équipage en lui donnant un stylo à rendre à un autre employé se trouvant en cabine. Quelques instants plus tard, quand le commandant de bord s’excuse pour aller aux toilettes, Gameel Al-Batouti se retrouve seul. Sans que rien ne change dans les paramètres de l’avion, il commence à dire calmement « Je compte sur Allah » et déconnecte le pilote automatique.

D’après l’ECAA égyptien, rien ne dit que le copilote soit resté seul dans le cockpit. Cependant, le CVR n’enregistre aucune autre voix que le sienne par la suite. Comme le relève le NTSB, si un autre membre d’équipage était encore dans le cockpit, il y a peu de chances que celui-ci n’ait pas exprimé de la surprise ou même offert une suggestion quand l’avion s’est mis à 40 degrés de piqué.

Quand le commandant de bord regagne sa place, le FDR enregistre un split dans les surfaces de contrôle de profondeur. En fait, le lien entre la colonne de contrôle droite et gauche n’est pas si rigide que cela. Afin de prévenir les blocages complets, si des forces importantes et opposées sont appliquées sur les manches droit et gauche, ces derniers vont devenir mécaniquement indépendants. Chaque manche contrôlera la partie de la gouverne de profondeur qui est de son côté. Sur le 767 en plongée, la partie gauche de la gouverne de profondeur était dirigée à cabrer alors que la partie droite, celle du copilote, était dirigée à piquer.

Quand le commandant de bord récupère l’avion à 16’000 pieds et pousse les manettes de gaz, le copilote coupe les arrivées de carburant.
– C’est quoi ca ? C’est quoi ca ? Tu as éteint les moteurs ?
– laisse-les tranquilles ! lance-t-il un peu plus tard

C’est à partir de ce moment que le commandant commence à avoir des soupçons sur la bonne volonté du copilote. Malheureusement, à partir de là, le CVR cesse tout enregistrement parce qu’il est privé de courant. En tout cas, jusqu’à cet instant, l’avion est encore récupérable. Il était toujours possible de le contrôler sur une pente descendante de plané tout en redémarrant les réacteurs. Par contre, privé des instruments électroniques et ayant un copilote qui poussait l’avion vers la perte, le commandant ne put rien faire pour empêcher la catastrophe.

Par ailleurs, la commission d’enquête égyptienne demande l’audition d’un pilote qui avait réalisé la veille un vol avec cet avion. Son témoignage est inquiétant. Lors de l’approche sur Los Angeles, il a remarqué que le pilote automatique n’arrivait pas à intercepter le plan de descente. Il le chassait, comme il disait, mais n’arrivait jamais à rester pile dessus. Finalement, le pilote fait le choix de la sécurité et reprend l’avion en manuel. Quand le DFDR, qui garde 25 heures de vol, est analysé, le NTSB constate que le pilote qui se plaignait avait branché le pilote automatique sur le mode LOC. Dans ce mode, il n’y a aucune recherche ou maintien de plan vertical. L’avion était juste livré à lui-même et s’était même relativement bien sorti d’après la description avancée.

Contrairement à ses habitudes dans pareils cas, le NTSB n’utilise pas le mot suicide dans la conclusion de son rapport final. La cause probable de l’accident est avancée comme étant le résultat des actions du copilote. Les raisons ou motivations de ces actions n’ont pas été déterminées le Bureau.

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