Alors que l’enquête avance, nous en savons un peu plus sur les circonstances de l’accident qui a coute la vie au président polonais et a une partie de son gouvernement. Je vous préviens tout de suite, cet article est d’une triste banalité. Si vous avez déjà lu 2 ou 3 histoires au sujet des CFIT en approche IMC, vous pouvez vous passer de lire ce qui va suivre.
Comme il ressort tout le temps de ce genre d’accidents, il y a des pilotes qui une fois arrivés a la MDH et ne voient pas la piste, ils décident de descendre plus bas pour tenter de la trouver quand même. Leur vie ne semble avoir qu’un seul sens : celui de finir dans un CFIT en entrainant le maximum de monde avec eux.
Rappel non-exhaustif sur les approches VOR ou NDB :
Principe approche VOR ou NDB
Contrairement aux approches ILS, les approches VOR ou NDB sont dites « non-précises ». La raison principale pour laquelle elles portent ce nom, est que le pilote n’a aucun guidage dans le plan vertical. De plus, la précision du guidage latérale n’est pas aussi bonne que celle d’un LOC d’ILS.
Une approche non-précise est toujours une approche aux instruments mais l’atterrissage, lui, il est visuel. Le principe est que le guidage électronique met le pilote sur un axe où il peut descendre en toute sécurité jusqu’à une certaine hauteur dite MDH. Une fois qu’il y arrive, il a deux options :
A – La piste est en vue, dans ce cas, le pilote poursuit son atterrissage visuellement. C’est-à-dire que c’est visuellement qu’il va corriger son alignement avec l’axe de piste et assurer une séparation verticale avec le sol et les obstacles.
B – Une fois arrivé à la MDH, le pilote n’a pas de références visuelles. Dans ce cas, il cesse la descente sans jamais aller en-dessous de la MDH. Il vole tout droit en palier à la recherche de la piste. Cette étape est la dernière opportunité de trouver la piste et d’y atterrir. Elle dure jusqu’à un point appelé « point de remise de gaz », ou MAP. A ce point, une remise de gaz est initiée selon une procédure publiée. Par la suite, l’équipage peut choisir de faire une nouvelle tentative d’approche ou bien aller vers un autre aéroport.
En fait, il y a une option cachée qui finit souvent en drame :
C – Une fois arrivé à la MDH, le pilote n’a pas de références visuelles. Sans voir la piste, il décide de commencer une approche au jugé. La première étape consiste à lâcher quelques dizaines à quelques centaines de pieds sous la MDH publiée pour voir si la piste apparait. A ce moment, il y a 3 options :
1 – La piste apparait et le pilote atterrit, ni vu, ni connu. Personne mis à par lui ne sait qu’il a tordu le cou à la MDH. Cette violation, pourtant grave, reste sans contrôle, correction ou sanction.
2 – Sous la MDH, le pilote ne voit toujours pas la piste et il décide de remettre les gaz. Là déjà, ça commence à devenir chaud pour notre pilote en plein transgression. En effet, si la MDH est de 400 pieds, pourquoi il commence une remise des gaz à 150 pieds ? Il aurait soit du faire une remise de gaz à 400 pieds, soit atterrir. Cette remise de gaz depuis un endroit où il ne doit même pas se trouver est louche.
3 – Bien sous la MDH, le pilote ne voit toujours pas la piste. Il sait qu’il faudra peut être remettre les gaz, mais il retarde cette échéance le plus longtemps possible. D’une seconde à l’autre, la piste peut surgir. La vision latérale est bonne et verticalement le sol se voit déjà. Soudain, des arbres surgissent. Ils sont très proches. Le temps de pousser les manettes de gaz et les premiers impacts commencent.
Remarque :
La MDH est une hauteur barométrique au-dessus de la piste. Si le QNH est utilisée, on parle de MDA. MDH ou MDA sont deux manières différentes d’indiquer le même endroit. C’est juste le niveau de référence qui change. Lors des approches ILS de CAT I, on parle de DH ou DA et c’est toujours des valeurs barométriques. Pour les ILS de CAT II et CAT III la DH et DA sont retenues selon des valeurs données par le radioaltimètre.
Rapport Préliminaire :
La délégation présidentielle se composait de deux avions. Le premier, un YAK-40 transportant des journalistes, était arrivé une heure et demie avant le Tupolev.
D’habitude, le Tupolev 154 polonais dispose d’un équipage à 3 classique : un commandant de bord, un copilote et un mécanicien naviguant. Cette configuration se retrouve sur les Boeing 727 ainsi que les anciens Boeing 747. Ce jour là, un quatrième membre d’équipage était rajouté : un navigateur. Personne ne connait son rôle dans le sens où il n’est défini dans aucun protocole d’entrainement, document ou procédure fourni à l’équipage. En termes de Facteurs Humains, cette décision est mal inspirée. De plus, lors de l’approche, deux passagers sont dans le cockpit. D’après les voix captées dans le cockpit, il s’agirait du général des forces aériennes de la Pologne ainsi du chef du protocole lié au ministère des Affaires Etrangères.
Expérience des pilotes :
Même s’ils sont qualifiés et opérationnels, les pilotes sont peu expérimentés sur Tupolev 154. Voici leurs heures de vol respectives sur ce type :
– Commandant de bord : 530 heures
– Copilote : 160 heures
– Mécanicien : 235 heures
– Navigateur : 30 heures
Cette composition serait inacceptable dans une compagnie aérienne civile. Cependant, il faut se souvenir que ce vol est militaire et que ces pilotes sont au service d’un avion qui ne vole que pour un nombre limité de personnes, donc pas souvent. Ils ont donc moins d’opportunités de s’exercer et leur expérience sur cet appareil va se diluer sur de longues périodes.
Le vol :
L’appareil décolle de Varsovie à 7:27 du matin soit avec un retard d’une heure sur son plan de vol. La croisière se passe sans problèmes. Les systèmes de l’appareil sont et resteront tout le temps opérationnels. Les pilotes communiquent avec le contrôle aérien de Minsk et Moscou en Anglais. Avec le contrôleur de Smolensk, ils parleront en Russe.
Alors qu’il est au niveau 250 en descente, le Tupolev reçoit un message de Smolensk relayé par Minsk : la visibilité n’est que de 400 mètres à cause d’un brouillard dense recouvrant la région. Un peu plus tard, le pilote du YAK-40 informe l’équipage présidentiel qu’un Ilyushin 76 a du remettre les gaz en annonçant avoir constaté une visibilité de 400 mètres et un plafond plus bas que 50 mètres. L’arrivée est prévue dans 16 minutes et il est encore possible de faire diversion.
Quelques minutes plus tard, le pilote du YAK-40 informe que l’Ilyushin a du remettre les gaz une seconde fois et qu’il a décidé de partir vers un aéroport de diversion. Alors que le Tupolev est sur l’axe d’approche, 4 minutes avant le crash, le pilote du YAK-40 lui envoi un message encre plus alarmiste : il estime que la visibilité s’est dégradée à 200 mètres.
Le pilote du Tupolev informe le contrôleur aérien qu’il va faire une approche jusqu’à la MDH et probablement remettre les gaz et voir si ça vaut la peine de réessayer ou pas. Le pilote espère une amélioration même passagère dans les conditions de visibilité pour pouvoir atterrir.
Pour cette approche est définie une MDH de 100 mètres, soit 328 pieds et une visibilité de 1000 mètres. Ce jour là, les minima sont loin d’être acquis.
C’est un très bon pilote !
Dans la culture populaire, un excellent pilote est celui qui arrive à poser alors que tout le monde a trouvé plus sûr de faire une remise des gaz et aller voir ailleurs. L’excellent pilote serait donc défini comme le gars qui joue la vie de ses passagers au poker et gagne. Le genre de crash ci-joint montre à quelle point ce genre de définitions sont absurdes voir dangereuses quand elles trouvent leur chemin dans l’esprit même de certains pilotes. Contrairement aux apparences, l’excellence est tellement plus facile à atteindre : il suffit de remettre les gaz depuis la MDH si on ne voit pas la piste au plus tard au MAP. |
L’appareil était contrôlé par le pilote automatique qui recevait ses ordres de l’équipage qui pouvait enter un cap ou un taux de descente pour contrôler la trajectoire.
Le terrain comporte une difficulté qui a probablement joué un rôle dans l’accident. Il y a dans l’axe de piste une dépression sous forme de cuvette. Le terrain descend, puis remonte faussant les indications du radioaltimètre. L’aiguille de ce dernier marque une augmentation de hauteur suivie rapidement d’une diminution. Or, le radioaltimètre est le dernier faux-ami du pilote qui se paye une excursion aveugle sous la MDH.
Le Tupolev dont le sort semble scellé continue son approche. Une fois à la MDH, les pilotes continuent la descente de manière contrôlée alors qu’ils n’ont pas et ne peuvent pas avoir la piste en vue à ce moment. On peut toujours spéculer sur les motivations de ce choix, mais ce qui est sûr c’est qu’il a été fait.
Le TAWS annonce « Terrain! Terrain! », puis « PULL UP! PULL UP! PULL UP! ». A ce moment, il reste 18 secondes avant l’impact, c’est-à-dire encore assez de temps pour faire une remise de gaz. Avec cette alerte dans les oreilles et une visibilité nulle, les pilotes… continuent à descendre pendant 13 secondes encore. Le fond de la cuvette passe et le terrain commence à remonter très vite. L’aiguille du radioaltimètre va vers le zéro.
Les manettes des gaz sont enfin poussées et le pilote automatique coupé pour initier une remise de gaz. C’est 5 secondes trop tard.
Les premiers impacts avec les arbres commencent. L’appareil est à 1100 mètres de la piste, 40 mètres hors de l’axe et, vous lisez bien, 15 mètres sous l’altitude de la piste !
A 840 mètres de la piste et 80 mètres hors de l’axe, l’avion reçoit le coup fatal : un bouleau de 40 centimètres de diamètre sectionne l’aile gauche pratiquement à l’emplanture. Le Tupolev passe sur le dos. Dans le cockpit, les horizons artificiels ont leur zone marron vers le haut et la zone bleue vers le bas. L’un d’eux sera retrouvé dans cet état.
L’avion vole encore 5 secondes selon une trajectoire balistique et percute brutalement le sol avec un choc de plus de 100G ne laissant aucune chance survie aux occupants.
Ce n’est pas la première fois :
Les mêmes systèmes ont tendance à reproduire les mêmes types d’accidents. Ces accidents ne sont que l’expression la plus spectaculaire des défaillances internes au système.
Retour deux ans en arrière : Le 23 janvier 2008, un avion de transport militaire polonais, CASA C-295M, décolle de Varsovie pour un vol intérieur avec de nombreuses escales en route. A bord, il y a des passagers revenant d’une conférence sur la Sécurité Aérienne et 4 membres d’équipage.
A Miroslawiec, l’une des escales, le plafond est de 300 pieds et la visibilité de 3 kilomètres. L’approche sur la piste 30 est non-stabilisée et en finale, l’appareil part à 76 degrés d’inclinaison gauche et 21 degrés de piqué. Le taux de chute était estimé à 6000 pieds par minute. Le CASA percute le sol à 1300 mètres de la piste et 320 mètres hors de l’axe. Tous les occupants, 40, sont tués sur le coup. Ce n’est pas à proprement parler un CFIT, dans le sens où l’avion était incontrôlé durant les derniers moments mais il s’est construit exactement de la même manière.
Restes du Casa 295
L’enquête fait découvrir pèle mêle :
– Le commandant de bord n’avait aucune expérience sur cet avion avec l’avionique particulière dont il était doté. Il n’avait aucune expérience d’approche radar (PAR) en conditions IMC minimales.
– Le copilote n’était pas qualifié pour cet avion de nuit ou en en conditions de vol aux instruments (IMC)
– Les GPSs intégrés à l’avionique étaient hors service et les pilotes avaient reçu des GPS portatifs de type Garmin GPSMAP 196
– L’EGPWS était désactivé dès le départ de Varsovie. Les pilotes n’étaient pas formés à utilisation de cet équipement. Le commandant de bord n’avait jamais volé sur un CASA équipé d’un EGPWS.
– Les réglages altimétriques étaient faux.
– La hauteur de décision (DH) n’était pas entrée dans la fenêtre prévue à cet effet. Cette même erreur avait été faite durant les deux précédentes approches.
– Le contrôleur ne respectait la procédure d’approche radar. Il n’avait aucune expérience de ce type d’approches pour avions de transport. Habituellement, il guidait des avions de chasse. Cette approche n’était pas aux standards OACI.
– Le taux de descente était deux fois plus élevé que nécessaire sur l’axe d’approche
– Il y avait confusion entre pilotes et contrôleurs sur le QNH et le QFE ( !)
– Les altimètres de l’avion étaient gradués en pieds alors que les contrôleurs donnaient les altitudes en mètres.
– Les pressions étaient données en mmHg alors que les altimètres du CASA n’avaient que des hPa.
– Il y avait un ILS sur le terrain. Il avait été installé 7 ans avant le crash mais il n’a jamais fonctionné malgré diverses tentatives de réparation. Le dispatcher du vol et les pilotes ne savaient pas que l’ILS serait hors service et qu’ils devraient réaliser une approche radar.
Une fois proches du sol, les deux pilotes ont commencé à chercher visuellement la piste à travers le brouillard. Durant ce temps, personne n’observait les instruments et l’avion a commencé à s’incliner. Comme l’EGPWS était coupé, il n’y a pas eu d’alarme bank angle. Sans que les pilotes ne se rendent comptent, l’avion s’est incliné et a commencé à perdre de l’altitude de plus en plus vite.
Conclusion :
Les forces armées polonaises ont été impliquées en deux crashs meurtriers en deux ans. Ces deux accidents présentent des similitudes qui ne peuvent pas être attribuées au hasard. Le cumul de défaillances graves au sein du même vol montre que ces accidents ne sont pas dus à de la malchance. Le crash du Tupolev 154M a décapité le gouvernement polonais mais n’était pas vraiment un accident, mais le fruit d’un système. Ce système a clairement montré qu’il n’a pas aujourd’hui la maturité technique et humaine pour réaliser des opérations critiques avec un résultat sûr et reproductible.