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Givrage et Jets Privés

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Malgré un meilleur rapport poids puissance, les jets privés ne sont pas moins vulnérables que les autres appareils. Ces avions sont utilisés par des hommes d’affaires, des journalistes, des médecins en urgence… etc. et se retrouvent sur aéroports internationaux, comme sur les petits aérodromes de campagne. Ils sont donc souvent tenus d’opérer depuis des endroits sans possibilité de dégivrage au sol. Par ailleurs, certaines caractéristiques aérodynamiques rendent certains de ces avions excessivement dangereux en cas de décrochage.

Le 3 janvier 2002, un biréacteur Challenger 604 décolle depuis la Floride vers Birmingham, la deuxième ville du Royaume Uni. A son bord, il y a deux pilotes en service et un troisième qui complète son intégration au sein de la compagnie par l’observation d’un vol transatlantique. En cabine, il y a deux passagers prestigieux : le président et le vice-président des ventes de la compagnie AGCO. Peu connue du grand public, cette entreprise fabrique et distribue des tracteurs et des en-gins de chantiers sous des marques telles que Massey Fergusson et Caterpillar. Ses dirigeants devaient passer quelques heures en Europe pour signer des contrats importants.

L’avion atterrit à Birmingham en début de soirée et les pilotes se rendent à leur hôtel. Ils n’ont pas beaucoup de temps pour se reposer, le retour vers les USA est prévu pour le lendemain midi. L’un d’eux, n’arrive pas à s’endormir et prend un somnifère. L’appareil reste sur le tarmac et des températures négatives sont observées durant la nuit. Vers 5 heures du matin, il fait -9° C mais il n’y a ni vent ni précipitations même si le ciel se couvre progressivement à partir de minuit.

Les pilotes arrivent à l’aéroport entre 10:30 et 11:00 du matin et commencent leurs préparatifs pour le vol transatlantique du retour. Ils commandent du carburant, consultent les dossiers météo et inspectent l’appareil. Les choses ne sont plus comme la veille. La température a un peu baissé et les nuages commencent à 700 pieds déjà. Les pilotes voient aussi de très légers dépôts de givre sur les ailes mais les considèrent comme sans conséquences. De plus, comme l’avion est léger, ils pensent compenser sans problèmes les effets du givre par la puissance excédentaire des réacteurs.

Tous les avions qui partent ce matin, demandent le service de dégivrage qui vient les arroser avec l’eau chaude. Cet équipage n’en fait pas la demande et dès que les deux passagers arrivent à midi, les portes sont fermées et le plan de vol activé auprès de la tour de contrôle.

L’appareil est autorisé à décoller de la piste 15 et, immédiate-ment, il se met à accélérer. Les vitesses de référence du Challenger 604 sont comparables à celles d’un Airbus A320. A 146 nœuds (270 km/h) le commandant de bord commence à tirer sur le manche. L’avion se cabre normalement et les roues quittent le sol. Dès cet instant, l’appareil commence à s’incliner vers la gauche. Deux secondes après le décollage, l’appareil penche de 50 degrés déjà. Le pilote met moins d’une seconde à réagir et braque complètement les ailerons puis la gouverne de direction vers la droite. Il tire aussi sur le manche et ceci n’est pas fait pour aider à une reprise de contrôle.

En tout l’appareil est resté un peu moins de 6 secondes en l’air. Il passe rapidement sur la tranche et la valeur la plus élevée de l’inclinaison est de 111 degrés à gauche. Le jet revient vers le sol qu’il heurte brutalement. Il s’ouvre en deux et prend feu.

Les pompiers sur place en moins d’une minute ne peuvent plus rien faire pour les occupants. Quatre corps sont ramassés sur la piste et le cinquième sorti d’un amas de tôles en feu.

L’enquête
L’enquête détermina que le crash était du à un décrochage de l’aile gauche lors de la rotation. Suite à une contamination par des la glace, l’avion avait des caractéristiques aérodynamiques incompatibles avec le vol. L’interrogation pilotes ayant fréquenté Birmingham ce matin là, montra que tous avaient constaté du givre sur leurs appareils. Les services de l’aéroport dégivrèrent un Embraer 145 à 10:43 et il décolla à 12:04. Juste avant, un 757 fut dégivré à 10:15 et il décolla à 11:56 alors que l’effet antigivrant des produits était terminé depuis 11 minutes.

Le dépôt sur les deux ailes n’était pas pareil à cause de la mise en route de l’APU par situation de vent arrière. En effet, dès qu’ils sont arrivés le matin, les pilotes avaient lancé l’APU pour avoir du courant électrique et du chauffage dans l’avion. La sortie d’échappement de cette turbine se trouver sur le coté droit de l’appareil. Le vent, qui venait par l’arrière sur l’aire de stationnement emmenait l’air chaud vers l’aile droite. En même temps, l’aile gauche resta à température ambiante et conserva tout le givre qui s’y était déposé durant la nuit.

Chaque année, un à deux jets privés sont perdus au décollage ou à l’atterrissage suite à des problèmes de givrage.

Crash du Challenger 604 de la famille Ebersol
Le 28 novembre 2004, c’est le NTSB qui se trouvera avec une enquête similaire à réaliser. Cette fois, le jet d’affaire de type Challenger 604 est affrété par la famille Ebersol dont le père est le directeur sportif de NBC, l’une des plus grandes chaines de radio et de télévision aux Etats-Unis.

A dix heures du matin, l’avion arrive à l’aéroport de Montrose dans le Colorado. La météo est hivernale et il neige.

Du carburant est commandé et à peine les réservoirs fermés, les réacteurs sont mis en route. Sur le tarmac, un autre équipage voit passer le jet et commente la neige qui se trouve sur les ailes. D’autres équipages ont choisi de faire dégivrer leurs appareils avant de partir, mais pas celui-ci.

A 09:57, l’avion s’aligne et commence son accélération. A bord, il y a deux pilotes, un steward et trois passagers dont un adolescent de 14 ans.

L’avion s’élève de quelques mètres puis commence à se pencher sur la gauche. En quelques secondes, il est complètement hors contrôle et revient s’écraser vers le sol. De l’aéroport, on le voit tomber puis se transformer en boule de feu.

 

Jet Privé - crash
Quelques secondes après le crash, l’avion se transforme en boule
de feu. Remarquez les conditions météorologiques.
 

Dans la cabine, un des passagers sent l’immense sur crash et se rend compte qu’il n’a pas attaché sa ceinture de sécurité. A l’impact, il est projeté contre un siège et reprend conscience sur une odeur de fumée. Une issue se présente et il rampe vers le salut. Soudain, il pense aux autres et revient dans l’avion disloqué. Un des passagers est inconscient mais semble vivant. Il lui déboucle sa ceinture et commence à le tirer vers l’extérieur. Il revient chercher le gamin, mais il est incapable de le retrouver dans le chaos et l’obscurité de la cabine. Soudain, le feu se déclare et il doit reculer.

Quand les pompiers arrivent, ils trouvent trois survivants blessés : le copilote et deux passagers qui ont réussi à s’extraire. Les autres occupants sont décédés et personne ne peut plus rien faire pour eux.

L’enquête
L’enquête indiqua que le crash était clairement du à un décrochage suite à un dépôt de givre sur l’appareil alors qu’il était au sol. De plus, l’appareil présente une caractéristique dangereuse qui jette un doute sur le bien fondé de sa certification. En effet, d’après le 14 CFR 25.203 les avions qui décrochent alors que les ailes sont horizontales, ne doivent pas partir en inclinaison de plus de 20 degrés dans un sens ou dans l’autre. Or, sur le Challenger, il est fréquent qu’une aile décroche avant l’autre provoquant un départ rapide et incontrôlable sur la tranche. Pour le constructeur, l’avion ne peut pas décrocher vu qu’il est muni d’un dispositif qui pousse le manche d’autorité quand approche l’incidence critique. Néanmoins, comme le givre diminue fortement cette incidence, l’appareil décroche sans le moindre signe annonciateur, alarme ou protection.

 

14 CFR 25.203
Le 14 CFR 25.203 ne permet pas la certification d’un avion s’il ne peut pas démontrer
une stabilité longitudinale et latérale en cas de décrochage
 

 

La seule manière d’assurer un vol sûr sur ces appareils est d’adopter une attitude de tolérance nulle envers le givrage. Le moindre compromis fait avec des contaminants sur l’aile met en jeu la vie de tout le monde.

L’effet sol 
Lorsque les avions évoluent à très faible hauteur lors du décollage et de l’atterrissage, le flux d’air contre le sol provoque une réduction de la trainée induite et une amélioration de la portance de l’aile.

– A une envergure de hauteur, la trainée induite est réduite de 14%.
– A un dixième d’envergure de hauteur, elle est réduite de 47.6%.

Quand un avion décolle, le pilote doit augmenter progressivement l’incidence pour maintenir une portance constante alors que le sol s’éloigne. Si on arrête la rotation sitôt les roues quittent le sol, l’appareil s’élève de quelques mètres seulement et n’ira pas plus haut si on ne tire pas plus sur le manche.

Les avions qui tentent de décoller avec du givre arrivent à s’élever juste parce que l’effet sol leur donne une sur-portance. Mais dès qu’ils sont à quelques mètres de hauteur, ils cessent de monter et quand le pilote tire un peu plus sur le manche, c’est le décrochage et la perte de contrôle.

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