Home Blog Page 14

Feu à Bord – Partie 3 – Différentes conceptions et Varig vol 820

0

…Si la fumée baisse, on continue le vol jusqu’à la destination, si elle ne baisse pas, on peut enfin considérer un atterrissage d’urgence.

Plusieurs écoles s’affrontent sur ce point. Certaines compagnies ont des checklists très catégoriques. On peut y lire dès le début : « Ne retardez pas la descente ou la diversion pour chercher la source de la fumée ! ». Dans cette procédure, la réaction se résume à mettre son masque, avertir la tour de contrôle et le personnel de cabine, puis plonger vers la première piste venue. La descente est un élément important et ce n’est pas la même chose que la diversion. Certains recommandent de descendre à l’altitude minimale du secteur ou même le plus près possible de l’eau dès les premiers signes de fumée. Ceci n’interdit pas de chercher la source par la suite, ni de tenter de rejoindre un aéroport proche si la situation le permet encore. L’idée dominante de cette philosophie est de se dire que si les choses se dégradent, on a intérêt à ce que l’avion soit le plus bas possible pour qu’un amerrissage ou qu’un atterrissage de fortune soient encore possibles pour sauver des vies.

En tout état de cause, quand l’équipage perçoit de la fumée, il y a deux issues possibles.

1 – Soit il n’y a pas de feu incontrôlé et donc pas de menace sérieuse,

2 – soit il y a un feu et il y aura crash, volontaire ou non, dans quelques minutes.

Malheureusement, force est de constater que les checklists interminables ne tiennent pas du tout compte de la seconde situation. Elles tablent toutes sur une situation sans gravité.

Ceci montre aussi un aspect souvent ignoré du grand public qui juge les pilotes selon leur réaction à telle ou telle situation. Les équipages, d’où qu’ils viennent, ont tous la même formation et les mêmes connaissances fondamentales. Par la suite, ce sont leurs compagnies qui vont les former et les entrainer à suivre des procédures spécifiques en situation d’urgence. Un équipage qui réagit mollement à une situation grave, ne fait que reproduire la politique de sa compagnie. Les drames aériens ne sont pas des accidents qui arrivent à des individus, mais à des organisations.

Le feu dégrade progressivement les systèmes des avions et finit par les rendre incontrôlables. De plus, la fumée ne doit pas être considérée juste comme un symptôme ! C’est un mal en soit. Des fumées toxiques en provenance d’un tas de valises entrain de se consumer en soute peuvent tuer tous les occupants d’un avion avant même de représenter un danger pour les différents systèmes techniques.

Varig vol 820
Cet accident arrivé à Paris en été 1973 illustre la dangerosité des fumées toxiques dégagées par un incendie. Le Boeing 707 avait décollé de Rio de Janeiro au Brésil pour Paris. A son bord, avaient pris place17 membres d’équipage et 117 passagers. Le long vol se déroule normalement et la descente commence sur Orly. Alors qu’il passe le niveau 80, les pilotes déclarent une urgence. De la fumée dense surgit dans le cockpit et dans la cabine.

Le contrôleur aérien change les plans et autorise l’avion à atterrir sur la piste 07 au lieu de la 26. C’est l’approche la plus directe même si elle doit se faire en vent arrière. Les pilotes mettent leurs masques à oxygène, mais rapidement la situation se détériore à tel point qu’ils ne peuvent même plus lire les instruments, ni voir ce qui se passe au dehors. En désespoir de cause, le commandant de bord ouvre son hublot et une partie de la fumée est dissipée.

Sur les avions de ligne, les hublots situés sur le coté du cockpit peuvent s’ouvrir en coulissant vers l’arrière. Une ouverture en vol est impressionnante, mais pas nécessairement dangereuse. Le vent s’engouffre dans le cockpit, mais sa puissance reste limitée parce que le hublot est presque latéral. Une carte Jeppesen clipée sur le manche n’est ni arrachée, si déchirée par ce vent relatif. Par contre, la communication entre les pilotes est réduite et ils doivent échanger en gestes étant donné le niveau de bruit ambiant. Certains pilotes recommandent d’ouvrir le hublot en vol en cas de fumée incontrôlée mais de nombreuses compagnies aériennes l’interdisent expressément. En Effet, il n’est pas possible d’entrainer les équipages à cette manœuvre au simulateur ni pendant des vols avec passagers.

Le 707 de Varig est à cinq kilomètres de la piste. C’est un peu plus d’une minute de vol, mais c’est une minute de trop. La situation est si intenable, que les pilotes décident d’atterrir sans plus attendre. Des champs se présentent, le commandant de bord sort les volets à 80 degrés et réduit les gaz. L’avion se prend d’abord dans des arbres puis arrive contre le sol meuble où il glisse puis finit par s’arrêter après d’importants dommages aux réacteurs et à la voilure.

Les pilotes sortent par le hublot et se retrouvent à l’air libre. Rapidement, les pompiers arrivent de l’aéroport et des communes avoisinantes. Une porte est ouverte, mais seule une lourde fumée noire s’en échappe. Il n’a aucun signe de vie. Un seul passager respire encore, ce sera le seul survivant. Le crash fit 123 victimes, toutes tuées par la fumée.


Varig 820
La cabine ne fut pas endommagée lors du crash

L’enquête détermina que le feu avait commencé dans les toilettes situées juste derrière le cockpit et avait généré un important dégagement de gaz toxiques. Tout en restant confiné à cet endroit et sans jamais menacer les systèmes de l’avion, ce feu provoqua un crash avec un bilan catastrophique. La cause même du déclenchement de l’incendie ne fut jamais établie avec certitude, mais à une époque où les passagers avaient le droit de griller une cigarette en vol, il ne faut pas chercher trop loin.

Feu à Bord – Partie 2 – Check-lists non adaptées

0

Dans les situations difficiles, les pilotes travaillent d’après des check-lists d’urgence qui sont révisées en entrainement deux fois par an et jamais utilisées en vol. En termes de processus cognitifs, ce n’est pas ce qui se fait de mieux. De plus, d’après une étude de la NASA, ces check-lists sont souvent longues, nombreuses ou difficiles à appliquer en situation réelle. Certaines, de par la taille de leurs caractères sont mêmes illisibles dans un milieu enfumé. En tout état de cause, l’élément clé reste toujours d’atterrir au plus vite après avoir acquis la certitude qu’il y a du feu. Cependant, une autre étude réalisée par le TSA canadien et portant sur des accidents arrivés entre 1967 et 1998, démontre qu’il se passe en moyenne 17 minutes entre la détection de l’incendie et le crash. Les valeurs individuelles sont comprises entre 5 et 35 minutes dans le meilleur des cas. Pour les avions volant au dessus de l’eau, ou même au-dessus de régions peuplées mais inconnues, il est très difficile de se poser correctement en si peu de temps.

L’ancienne logique, encore en usage chez de nombreuses compagnies, consiste à choisir la check-list appropriée dès la détection de la fumée. Naturellement, c’est plus facile à dire qu’à faire. On s’attend des pilotes à ce qu’ils détectent l’origine de la fumée à l’odorat. Ceci étant fait, ils choisissent la check-list qui comporte des manœuvres à réaliser pour juguler le problème. Lors de l’entrainement, il n’est pas possible de représenter de vraies situations de danger. De plus, pour des raisons pédagogiques, le feu s’éteint du moment que la check-list est correctement appliquée. Cette approche est naïve et utopique.

Quand la fumée surgit dans la cabine, s’il y a de nombreuses check-lists, l’équipage choisira probablement la mauvaise. Le stress et la charge de travail crées par la situation ne permettent pas aux équipages de fonctionner de manière optimale. Seuls des gestes simples peuvent encore être effectués correctement. Des check-lists avec des renvois logiques du genre « si c’est A ou pas B faire C » ont prouvé depuis longtemps leur inefficacité.

 

En haut de cette page, une check-list de défaut de pack de conditionnement sur avion à réaction est donnée en exemple. Elle fut sélectionnée par la NASA pour montrer à quel point certaines procédures peuvent être confuses et difficiles à suivre. La phrase en gras « If Pack Fault due to low bleed air supply, a blead leak does not exist, and if WING ANTI-ICE not required: » est un chef d’œuvre du genre. Elle est du genre « Si A, B n’existe pas, et si C n’est pas nécessaire ». Une petite modification la rend déjà plus claire : « If Pack Fault due to low bleed air supply, and if a blead leak does not exist, and if WING ANTI-ICE not required: ». Depuis 2005, de grandes compagnies aériennes aux USA ont commencé à travailler sur des check-lists dites « intégrées ». Il s’agit d’un document unique qui commence par les étapes qui sont communes à tout type de feu. Ainsi, au lieu de perdre du temps à chercher le bon document, les pilotes s’assurent d’abord de la réalisation des principaux gestes. Par la suite, ils doivent se référer à des check-lists plus spécifiques à la situation identifiée.

De nombreuses compagnies n’incluent même pas l’atterrissage d’urgence dans leurs procédures d’action en cas d’incendie. L’idée sous-jacente, comme le rapporte Barbara Burian, chercheuse du Ames Research Center, est que le vol continue à la destination une fois que la fumée est identifiée est dissipée.

Lors du crash du Swissair 111, la notion d’atterrissage d’urgence apparaissait en toute dernière ligne. Si la procédure est suivie à la lettre, il faut plusieurs dizaines de minutes pour en arriver à ce point. En pratique, les pilotes doivent tenter de fermer plusieurs systèmes de conditionnement d’air mais de manière séquentielle. A chaque fois qu’un switch est passé sur OFF, on doit apprécier si la fumée baisse ou pas. Elle ne baisse pas, le switch est remis sur sa position originale et on passe au système suivant. Ces gestes sont simples et normalement réversibles. Si la fumée baisse, on continue le vol jusqu’à la destination, si elle ne baisse pas, on peut enfin considérer un atterrissage d’urgence.

Le Feu à Bord des avions – Partie 1

0

Le feu à bord d’un avion a toujours des conséquences catastrophiques. Même si les occurrences sont rares, elles ne laissent aucune chance aux pilotes. Entre le moment où le problème est perçu et le moment où l’avion n’est plus contrôlable, il ne se passe que quelques minutes dans le meilleur des cas.

Les pompiers représentent souvent le feu par un triangle comportant un produit inflammable, de l’oxygène et une source de chaleur. Il est admis qu’en l’absence de l’un de ces éléments, le feu ne peut pas commencer ou s’entretenir. Ce modèle est appliqué aux incendies conventionnels mais ne rend pas compte de situations particulières que l’on peut rencontrer dans des milieux plus spécifiques.

Le carburant ou l’huile à bord des avions ne sont pas inflammables à température ambiante. Par contre, à chaud, ils peuvent prendre feu spontanément, c’est-à-dire sans même avoir besoin d’étincelles ou d’autre source d’ignition. Ce phénomène survient à la température d’auto-inflammation. Par ailleurs, certains composés chimiques, possèdent au niveau moléculaire des atomes apparentés et à différents degrés d’oxydation. Les uns peuvent agir comme oxydants et les autres comme réducteurs. Sans même avoir besoin d’éléments externes, ces composés peuvent, sous certaines conditions, dégager de formidables quantités d’énergie et provoquer du feu ou des explosions. Il s’agit, en principe, de produits dangereux interdits à bord.

Dans un avion de ligne, le seul endroit où il y a du feu ce sont les chambres de combustion des réacteurs. Ces derniers, en cas de problèmes, peuvent même émettre des flammes de leurs tuyères sans pour autant représenter un danger. Ce sont des zones dites « chaudes » et conçues pour supporter le feu. Néanmoins, il reste toujours les cas des pannes dites non contenues, où des ailettes de turbine ou de compresseur peuvent être projetées contre les réservoirs et provoquer des fuites de carburant (voir Concorde).

La cabine, peut être divisée en trois zones. La partie habitable peut être sujette à des feux d’origine humaine, mais qui restent accessibles et éteignables. De plus, les sièges, la moquette et les autres garnitures ne sont pas, par conception, des vecteurs de flammes. Le risque dans cette zone est donc limité. La soute à bagages, est un endroit plus sensible. Elle comporte les bagages des passagers et du fret. Malgré toutes les mesures de sécurité, il arrive que des opérateurs peu scrupuleux tentent de faire voyager des produits interdits ou soumis à des restrictions. C’est ainsi que le ValuJet 592 fut victime d’un transport illicite de canettes génératrices d’oxygène à l’aide d’une réaction pyrotechnique. Les cartons avaient été placés en soute par le service de maintenance de la compagnie pour qu’ils soient jetés dans un autre Etat n’exigeant pas de payer des taxes de recyclage. Ce crash avait fait 110 morts et ne laissa aucune chance aux pilotes. Seulement quelques minutes après la détection des fumées dans le cockpit, l’intérieur de cabine était en flammes et l’appareil incontrôlable. De nos jours, les avions les plus modernes disposent de détecteurs de fumée en soute donnant plus de temps de réaction en cas d’incendie. L’autre zone dangereuse, est constituée par la partie de l’avion située entre le fuselage et les garnitures en matériaux composites formant la paroi intérieure de la cabine. Dans cette partie passent près de 150 kilomètres de fils électriques en moyenne ainsi que des isolants thermiques et sonores.

Le vol Swissair 111 (MD-11) fut victime d’un incendie due à une surcharge électrique dans cette partie de l’avion. Le feu couva pendant de longs moments sans être correctement détecté puis reflua vers cockpit qui se transforma en fournaise en quelques secondes. Ce drame avait 229 morts ; c’était en septembre 1998.

Continental-Feu

L’idée principale dans le thème de la protection contre l’incendie, est basée sur le fait que celui-ci ne doit jamais survenir. Les matériaux utilisés sont, aussi loin que l’on puisse en juger, non inflammables. Malheureusement, ce critère d’inflammabilité est on ne peut plus vague. Il dépend de certifications qui elles-mêmes sont basées sur des tests précis en laboratoires. L’échantillon est soumis à des flammes normalisées, arrivant sous certains angles et persistant pendant un certain temps. Si le matériau passe ce test, il est validé comme l’ont été les isolants qui ont pris feu dans le Swissair 111. Les conditions réelles d’utilisation, la combinaison avec d’autres facteurs ainsi que l’usure et le vieillissement peuvent profondément changer le comportement d’un matériau vis-à-vis du feu.

Comme d’habitude, quand toutes les autres protections ont cédé, c’est le pilote qui se retrouve avec le problème sur les bras et quelques instants pour prendre une décision de non retour. Les équipages sont formés pour avoir des réactions mesurées et conséquentes. Il arrive souvent que des avions atterrissent d’urgence suite à des fumées sorties du système de conditionnement d’air. L’avion n’en est pas pour autant menacé. Par contre, quand un vrai incendie se déclare à bord, il y a très peu d’options.

La partie 25 des FAR, définit les règles de navigabilité applicables aux avions de transport public civil. L’article 854 exige l’installation d’un détecteur de fumée dans les toilettes ainsi que d’un système d’extinction automatique pour les poubelles. Un peu plus loin, l’article 857 définit cinq types de compartiments cargo ou bagages en fonction de leur accessibilité en vol. Pour les classes A et B, il est possible à un membre d’équipage de constater l’incendie et de l’éteindre. Dès la classe C, le compartiment n’est pas accessible et doit être muni d’un détecteur de fumée ainsi que des moyens intégrés d’extinction. De plus, rien n’interdit à des constructeurs ou des opérateurs d’installer plus de dispositifs pour améliorer la sécurité.

Un des problèmes posé aux constructeurs était de créer des systèmes de détection sans fausse alertes. Ceci est loin d’être réalisé de nos jours. La conception des appareils, leur usure ainsi que l’entretient sont des facteurs importants. La loi exige que l’alarme soit donnée au maximum 60 secondes après l’exposition du détecteur aux fumées. Hors, les technologies actuelles ne permettent pas l’élaboration d’une détection positive à 100% en si peu de temps. Airbus avait souhaité pouvoir allonger ce délai à 2 minutes en échange d’une réduction importante des fausses alertes. Cependant, dans des situations où chaque seconde compte, cette proposition n’a pas été retenue. Ceci est peut être malheureux, dans le sens où pour que la réaction soit rapide et énergique, il est vital que les pilotes aient une confiance absolue dans le système de détection. De nos jours, les équipages peuvent perdre plusieurs minutes rien qu’à confirmer l’alarme alors que l’incendie progresse.

Les zones de la cabine où il n’y a pas de fret, ne sont pas équipées de détecteurs et ne sont pas tenues d’en avoir. Rien n’interdit, par exemple, la reproduction d’un accident comme celui du Swissair 111. Sur les Airbus, la soute électronique située sous le cockpit dispose d’un détecteur de fumée même s’il n’est pas obligatoire.

Quand le pilote réagit agressivement et provoque un atterrissage d’urgence et une évacuation sur fausse alerte, il est montré du doigt. Le 9 septembre 2005, une fausse alerte à la bombe provoqua l’évacuation d’un Boeing 747 de Saudian Airlines à l’aéroport de Colombo au Sri Lanka. Il eut 70 blessés, 1 mort et de nombreux dégâts. Ceci prouve qu’une évacuation n’est pas jamais sans conséquences.

Au contraire, quand les équipages prennent le temps de confirmer l’incendie, s’il y en a réellement un, ils sont critiqués pour leur inaction. Les pilotes du Swissair 111 avaient à peine le temps de se poser une fois qu’ils avaient détecté la fumée dans le cockpit. Par contre, c’est en cherchant à obtenir confirmation qu’ils ont perdu un temps précieux. Quand le feu émergea dans le cockpit, la question ne se posait plus, mais en même temps, il était trop tard pour faire quoi que ce soit. Pour les avions gros porteurs, subsiste la question de la masse maximale à l’atterrissage. Quand un de ces appareils décolle à pleine charge, il ne peut pas atterrir quelques minutes plus tard si un problème survient. La masse maximale au décollage est bien supérieure à celle qui est recommandée pour l’atterrissage. Par contre, ceci ne signifie jamais qu’un avion doit être considéré comme trop lourd pour atterrir. Les normes de certification définissent dans le FAR 25.473 les vitesses verticales que doit supporter un avion quand ses roues touchent la piste. Ainsi, la masse maximale à l’atterrissage est définie comme la masse qui permet un impact de 10 pieds par seconde sans provoquer de déformation permanente. Par contre, même à la masse maximale de décollage, l’avion est sensé pouvoir atterrir et supporter une vitesse verticale de 6 pieds par minute.

Dans les faits, un Boeing 747 ou un MD-11 qui atterrit trop lourd peut faire surchauffer les freins ou éclater les pneus. Il exigera probablement plusieurs heures de contrôles et de maintenance pour pouvoir reprendre l’air. Dans un cas extrême, il peut être victime d’une rupture de train d’atterrissage ou d’une sortie de piste avec une facture de 6 ou 7 chiffres de frais réparations. Ceci est à rapprocher des conséquences autrement plus désastreuses avec une perte totale de l’appareil et ses occupants. Encore une fois, il faut être sûr qu’il y a le feu.

DELTA vol 554

1

Un CFIT peut survenir en présence de repères visuels trompeurs. Un des phénomènes les plus courants est appelé « le trou noir ». Ceci manifeste lors d’une approche de nuit avec au sol des zones éclairées et des zones non éclairées. Ces dernières peuvent être constituées d’étendues d’eau, de désert ou de forêts. Quand le pilote les survole alors qu’il regarde une piste éclairée au loin, il a la nette impression de voler trop haut. S’il vole à vue sans référence à ses instruments, il a toutes les chances de se retrouver sous son plan de descente, voir même heurter des obstacles ou la surface noire elle-même.

Un pilote de l’US Navy rapportait que lors d’une approche de nuit sur un porte avion, il eut soudain l’impression que quel-qu’un avait éteint l’éclairage de la piste. Une seconde plus tard, son avion se désintégra contre la surface de la mer. Il eut la vie sauve grâce à l’intervention rapide de ses collègues. En fait, il était passé sous le niveau du pont du navire et c’est pour cette raison qu’il n’en voyait plus les feux d’approche.

Les situations où il y a des repères trompeurs sont pires que celles où y en a pas du tout. En IMC, les pilotes ne travaillent qu’avec leurs instruments et ont moins de chances d’être le jeu d’illusions d’optique. L’ennui avec l’illusion d’optique, c’est qu’elle correspond à un fonctionnement normal de nos sens et de notre cerveau. Le fait de savoir que l’image perçue est une illusion ne donne aucune information sur l’image réelle. Les corrections forfaitaires à la louche n’apportent aucune garantie de sécurité. Seul un vol aux instruments permet d’atterrir en toute sécurité.

Tout être humain normalement constitué peut subir des illusions visuelles. Leur sévérité varie d’un individu à l’autre, comme elle varie chez le même individu en fonction des conditions du jour. Le stress, la fatigue, la prise de médicaments, mais aussi une préparation incomplète du vol peuvent faire en sorte que l’illusion passe totalement indétectée. Aucune anomalie n’est constatée par le pilote jusqu’au moment de l’impact avec le sol. C’est ce qui se passa avec le vol Delta 554 dans la soirée du 16 novembre 1996.

L’aéroport de New York LaGuardia a été construit à la fin des années trente pour rapprocher les passagers du centre ville. Déjà à l’époque, il était impossible de trouver des terrains urbains assez grands pour réaliser ce projet. Le choix fut donc fait de gagner l’espace nécessaire sur le lit de l’East River. Des pistes furent construites sur pilotis et l’aéroport fut un des plus fréquentés au monde durant les années soixante. Pour-tant, ce terrain n’est pas facile. Les pistes ne font que 2’100 mètres de long et se terminent dans l’eau ne laissant aucune marge d’erreur. Pourtant, elles ont servi comme modèle pour la construction de nombreux avions tels que le 727 ou le 767. Ces appareils, de par leur cahier de charges, devaient pouvoir opérer à LaGuardia. Un avion qui peut décoller et atterrir sur ce terrain, peut aller sans craintes partout ailleurs.

Le vol Delta commence son approche aux instruments peu avant 17 heures sur la piste 13. La météo promet un atterris-sage très difficile. Les nuages et la pluie coupent toute visibilité alors que le vent et les turbulences rendent le pilotage très difficile. Informé par le commandant de bord, le personnel de cabine s’assure que les passagers sont correctement attachés. Plus tôt que d’habitude, les hôtesses de l’air rejoignent leurs sièges également.

A 3’000 pieds, l’avion intercepte l’ILS et quitte le contrôle radar pour entamer sa dernière descente. D’après la tour de contrôle, les nuages ne vont pas plus bas que 1’300 pieds. Pourtant, quand ils arrivent à cette altitude, les pilotes ne voient pas encore la piste. Ils continuent à descendre en scrutant devant eux.

Sur la piste 13, un avion de la TWA est autorisé à décoller sans perdre de temps. Celui-ci s’aligne, commence à accélérer, puis freine brutalement et informe le contrôleur aérien qu’il annule son décollage. Ce dernier est particulièrement gêné par la situation. Connaissant les conditions météo, il n’aimerait pas avoir à demander au Delta de repartir faire un tour. Sans perdre une seconde, il contacte le TWA :
– Quittez la piste au plus vite ! faites-ça pour moi s’il vous plait, j’ai un trafic à deux miles et je n’aimerai pas lui imposer une remise de gaz.

Ecoutant sur la même fréquence, l’équipage du Delta se retrouve avec un stress supplémentaire. Malgré l’autorisation d’atterrir, les pilotes ne sont pas surs que la piste soit vide. Ils savent que les conditions du jour sont favorables aux erreurs humaines et restent sur leurs gardes. Parlant à son copilote, le commandant de bord fait des remarques desquelles ni la TWA, ni son personnel ne sortent grandis. Pendant ce temps, presque sans se rendre compte, il tire un peu sur le manche. Dans sa tête, il anticipe déjà la remise de gaz. Si proche de la piste, le faisceau ILS est très étroit. Le moindre écart sur la trajectoire, donne une grande déviation des aiguilles qui matérialisent l’axe d’approche.

Quand il regarde son instrument, le commandant de bord se rend compte qu’il est près de un point et demi trop haut. A par-tir de là, il n’est plus possible de faire une approche stabilisée. Il décide de rattraper l’axe et pousse sur le manche pour augmenter le taux de descente. Alors qu’il commence à voir l’éclairage de l’axe de piste, l’avion chute de 1’200 pieds par minute. Le copilote ne remarque pas le problème, parce qu’il a une indication plus faible sur son variomètre. En effet, le MD-88 de Delta était équipé de variomètres classiques qui ont un temps de poursuite assez long. Quand la vitesse ascensionnelle varie, l’instrument met plusieurs secondes à changer son affichage. D’après les instructeurs de la compagnie, de nombreux pilotes croyaient que ces instruments étaient du type IVSI, c’est-à-dire indiquant le taux de chute ou d’ascension en temps réel.

Le commandant de bord réduit les gaz et le taux de descente réel passe à 1’500 puis à 1’800 pieds par minute alors que l’avion est au ras de l’eau. Voyant quelques lumières de la piste sur un arrière plan sombre, les pilotes ont la perception d’arriver trop haut. La disposition des feux de seuil de piste ne leur facilite pas les choses non plus. Alors que dans la majorité des aéroports du monde, les lumières sont disposées régulièrement tous les 200 pieds, ceux de la piste 13 de LaGuardia sont plantés dans l’eau à des distances irrégulières faussant complètement la perception. Quand la visibilité est très faible, ces lumières sont la seule chose que voient les pi-lotes lors de l’approche finale.

Le MD-88 arrive à quelques mètres de l’eau, passe au-dessus de la plate-forme en béton et s’écrase dans un monstrueux bruit de ferraille à quelques mètres de la piste. Le train d’atterrissage cède et l’appareil glisse sur son fuselage par-courant presque la moitié de la piste.

Pendant une minute, personne ne bouge. Ayant été avertis d’un atterrissage dur, certains passagers ne sont qu’à moitié étonnés. Soudain, une forte odeur de carburant commence à envahir la cabine. Un pilote en voyage se rue vers le cockpit et en informe le commandant de bord. Dès cet instant, la situation est reprise en main et l’évacuation ordonnée. Les hôtesses crient aux passagers :
– Détachez vos ceintures, levez-vous ! Levez-vous ! Sortez de l’avion !

Sous le choc, certains passagers croient qu’ils sont morts et ne se lèvent pas sans être secoués. Les réacteurs sont coupés et les toboggans déployés sur les issues de secours. Comme le veut la procédure, une hôtesse de l’air demande aux deux premiers passagers à quitter l’avion de rester en bas pour aider les autres à se relever et à s’éloigner. Malheureusement, ceux-ci dès qu’ils mettent les pieds à terre, prennent la fuite. Sans aide, les personnes suivantes commencent à former un tas humain en bas de l’avion et l’hôtesse est obligée d’arrêter l’évacuation. Heureusement, surgit du brouillard une Ford Crown Victoria du New York Police Department puis plusieurs camions de pompiers et de secours médicaux.

Au bout de quelques minutes, tous les passagers et membres d’équipage sont dehors sur la piste. Il y a quelques contusions, mais aucun blessé grave. C’est un des rares cas où un CFIT s’est bien terminé.

L’avion, c’est 14 millions de Dollars à réparer, sans compter les dommages causés aux équipements au sol. Le GPWS s’était déclenché juste une fraction de seconde avant l’impact. Quand l’avion est en phase d’atterrissage, ce système est relativement moins sensible vu que le but de la manœuvre est tout de même d’aller au sol. De plus, l’enquête démontra que le commandant de bord portait des lentilles de contact mono-vision qui empêchaient une vue binoculaire, celle-là même qui permet d’estimer les distances entre les objets proches.

Crash Crossair vol CRX 3597

0

Cet accident, qui eut lieu à Zürich le 23 novembre 2001, démontre l’aspect multifactoriel des CFIT. Leur étude donne l’impression que le cycle infernal conduisant au drame aurait pu être désamorcé à chaque moment. Ce sentiment est trompeur. Chaque élément s’insère dans un système avec lequel il est cohérent. Cette harmonie est le ciment de l’ensemble et c’est elle qui fait que les évènements n’auraient pas pu se passer autrement.

La compagnie Crossair a fait son premier vol régulier en été 1979. Rapidement, ce nouveau venu sentit les orientations sous-jacentes d’un marché qui se redessinait. Les dirigeants déclaraient à la télévision que le temps où l’on additionnait le prix de revient et le bénéfice pour définir le coût d’un billet d’avion était révolu. Effectivement, avec les dérégulations entamées dès 1978, les formules classiques du commerce ne s’appliquent plus au domaine de l’aérien. Les compagnies doivent dans un premier temps définir à priori le prix du billet d’avion en fonction de l’offre et de la demande. Le prix obtenu de cette manière devient une condition imposée comme la vitesse du vent ou la longueur des pistes. Dedans, il faut faire rentrer le prix du carburant, celui des assurances, les salaires du personnel, les taxes d’aéroport, l’amortissement de l’avion, les frais de vente…etc. et s’il reste encore un peu d’argent, c’est le bénéfice ! Ce langage plait aux investisseurs et Crossair connaît une croissance régulière.

crash Crossair 3597

Les avions volent jour et nuit et les pilotes en font presque autant. Tous ont des horaires à la limite du maximum légal avec des salaires planchers. Les copilotes sont les moins bien payés. Jeunes et peu expérimentés pour la plupart, ils considèrent Crossair comme occasion de se faire des heures de vol et un peu d’argent de poche en attendant un emploi digne de ce nom ailleurs. Un peu mieux rémunérés, les commandants de bord viennent de tous les horizons. Autant en trouve des personnes sérieuses qui font leur métier avec art et dévouement, autant on rencontre des gens à la limite du hors jeu. Aucune compagnie aérienne au monde n’aurait voulu d’un commandant de bord comme celui qui veillait à la destinée du vol 3597.

A près de 60 ans, ce pilote cumulait deux emplois. A ses longues journées chez Crossair, il rajoutait en douce des heures d’instruction dans une école d’aviation de Zürich. Probablement une manière de boucler ses fins de mois, cette activité lui faisait régulièrement dépasser le temps de travail réglementaire pour un pilote. Son emploi du temps de la veille de l’accident est très éloquent. Il sort de chez lui un peu après cinq heures du matin et se rend à l’aéroport où il a rendez-vous avec un élève pilote vers 6 heures. A deux ils décollent pour un vol d’instruction à destination de Friedrichshafen en Allemagne. Il faut trois heures pour faire l’aller-retour en traversant des espaces aériens congestionnés. A midi, il met sa casquette de pilote de ligne et décolle pour Tirana en Albanie. C’est un vol qui dure deux heures et le pilote est de retour à Zürich peu après 17 heures. Ca fait déjà au moins 12 heures qu’il est au boulot, mais ce n’est pas fini. A 18:30, il décolle pour Milan et il est de retour à Zürich vers 21 heures. A 22 heures, il est chez-lui. Le temps de dormir un peu et à 8:30 le jour de l’accident, il s’envole comme instructeur pour un vol vers l’Allemagne.

Etre instructeur, pour de nombreuses compagnies, c’est une mauvaise référence. Les personnes impliquées longtemps dans cette activité peuvent développer des comportements les rendant incompatibles avec le travail d’équipe. Ce commandant de bord était décrit comme froid et distant et il centralisait toutes les décisions. Souvent, il faisait du one man operation en pilotant tout seul reléguant son copilote au d’un rôle d’observateur privilégié.

Avec le temps, il développa ses propres procédures et les incidents avec lui étaient nombreux. Aucun copilote n’avait le courage de le corriger ou de le contredire et souvent il mettait tout l’avion et les passagers dans des situations délicates. D’ailleurs, ce n’est qu’après sa mort que les langues commencèrent timidement à se délier.

Un jour, alors qu’il fait un vol vers Sion dans le Valais Suisse, il se trompe d’aéroport et de pays ! Il entame sa descente sur Aoste en Italie. Il y a 50 kilomètres entre les deux terrains et malgré les remarques du copilote, il se butte et continue sa descente. En approche finale, les passagers commencent à voir des panneaux de signalisation routière en italien et l’un d’eux filmera même la scène. Juste avant de poser, le commandant de bord comprend son erreur et remet les gaz. Il atterrit à Sion et explique l’erreur aux 30 passagers. Par contre, ni la compagnie, ni les autorités compétentes n’en sont informées.

Une autre fois, c’est un copilote qui le voit réaliser une approche selon une technique personnelle très dangereuse. Alors que l’appareil est en approche aux instruments sur Lugano, un des terrains les plus dangereux de Suisse, il coupe les circuits breakers du GPWS et de l’alarme de survitesse. Puis, il affiche une vitesse verticale de -4’000 pieds par minute et laisse tomber l’avion dans le vide. Le copilote est inquiet, mais n’ose rien faire. L’appareil descend dans les nuages dans une zone très montagneuse des Alpes suisses et italiennes. Quand il sort de la couche, il est à 100 mètres de hauteur au-dessus d’un bras de lac de 3’500 mètres se trouvant dans le prolongement de la piste. Il continue le vol à vue et atterrit.

Les pilotes de Crossair accumulent les incidents et comportements dangereux, mais tout est couvert par une loi du silence où tout le monde trouve son compte. En 1991, alors qu’il est sur un contrôle en ligne et qu’il est sensé donné le meilleur de lui-même, ce pilote va ignorer pendant plusieurs minutes une instruction de limitation de vitesse donnée par le contrôleur aérien. Soudain, il se retrouve dans les turbulences de sillage d’un Boeing 747 le précédent et l’avion est sévèrement secoué. L’examinateur refusa de lui valider son test.

En 1990, une compagnie l’engage pour qu’il dispense une formation sur les systèmes du Saab 340. Alors qu’il est entrain d’expliquer le mécanisme de fonctionnement du train d’atterrissage, le copilote en formation lui demande ce qui se passe si ce dernier refuse de rentrer. Qu’à cela ne tienne, il lui fait une démonstration grandeur nature de la rentrée d’urgence. Par contre, contrairement à ses attentes, le train d’atterrissage rentre vraiment alors que l’avion est stationné au sol. Les occupants sont un peu secoués et l’appareil endommagé au-delà de toute réparation.

Chez Crossair, quand furent achetés des DC-9 capables de transporter plus de 160 passagers, il fut d’emblée pressenti pour commander l’un d’eux. Là, ça ne passe plus. Les formateurs qui le prennent en charge refusent de lui faire valider sa transition. Il est incapable de comprendre le fonctionnement de l’appareil, incapable de coordonner sa gestion et ses décisions, il est tout simplement incapable de piloter un DC-9. La compagnie lui paye des heures en plus, mais rien n’y fait. Le projet est annulé.

En été 1995, on tente encore une fois de le faire passer sur DC-9. Les instructeurs vont s’acharner pendant plus d’un an, mais sans succès. En plus de difficultés particulières à ce type d’avion, le pilote a des problèmes plus généraux. Il ne peut pas avoir une action coordonnée, ni prendre une décision convenable à la situation.

Après ce double échec, on le remet en ligne sur des avions qu’il sait piloter déjà : Saab 340 et plus tard des RJ80/100.

Contrairement à des compagnies comme Air Algérie, où n’importe qui peut rentrer comme pilote s’il a assez de piston, Crossair soumet les candidats pilotes à des tests d’entrée. Cette sélection est longue et compliquée et frise l’ésotérisme. On va jusqu’à leur fournir une boite avec des lumières sous forme d’étoiles, de carrés ou de demi-lunes et on leur donne des blocs taillés qu’on leur demande d’introduire dans la boite susmentionnée. Ce jeu, plus proche du zoo pour primates que du jardin d’enfants, se fait sous le regard de psychologues attentifs. Il n’y a pas intérêt à se foirer !

Le 24 novembre 2001, c’est le jour du drame. Un système biaiseux depuis longtemps produit un bébé monstrueux. L’Avro 146 décolle de Berlin à 21 heures. C’est un quadriréacteur. Le commandant de bord est qualifié dessus depuis 5 mois seulement. A force de le pousser, on a fini par le caser à gauche dans un avion à réaction. A bord ce jour là, il y a 28 passagers et 5 membres d’équipage. Le copilote est un jeune de 24 ans qui n’a pas encore fini sa formation. Son instructeur c’est le commandant de bord, c’est avec lui qu’il vola la veille pour le compte de l’école. Autant dire qu’il ne faut pas trop compter sur lui pour équilibrer le comportement irresponsable de ce dernier.

Vers 22 heures, commence l’approche sur Zurich. Les nuages touchent le sol et la visibilité est très dégradée. La piste en service, la 28, n’a pas d’ILS, mais un VOR/DME. Autant le dire tout de suite, tous les indicateurs du CFIT sont au rouge.

Le METAR reçu lors de la descente indique une visibilité de 3’500 mètres. Cette valeur, même si elle est correcte selon les textes, elle en reste néanmoins trompeuse. D’après l’OACI, la visibilité est la plus grande (bien la plus grande) des deux valeurs suivantes :
– la distance horizontale maximale à laquelle un objet noir de dimensions convenables et proche du sol peut être vu et reconnu quand il est observé sur un fond clair.
– la distance horizontale maximale à laquelle on peut voir et identifier une source lumineuse d’environ 1000 Candelas contre un arrière plan sombre.

1000 Candelas, c’est les phares d’une voiture. Par contre, que faire quand la visibilité n’est pas la même dans différentes directions ? D’après l’OACI, c’est la visibilité minimale qu’il faut considérer. Par contre, de nombreux pays considèrent cette approche comme trop restrictive et lui préfèrent ce que l’on appelle « la visiblité prédominante ». C’est-à-dire la visibilité maximale atteinte sur au moins 180 degrés continus ou non d’horizon. En Suisse, c’est la norme adoptée, mais ceci est connu des pilotes même si ça continue à leur réserver des surprises parfois. En cas de nuages bas, il n’est pas impossible d’avoir des visibilités nulles dans certaines directions d’approche alors que les METAR continue à annoncer plusieurs milliers de mètres de visibilité sur le terrain.

Ce soir, malgré les 3’500 mètres publiés, un premier avion atterrit sur la 28 et son équipage trouve que les conditions ne sont marginales et en informe le contrôleur aérien. Les pilotes de l’Avro, qui sont sur la même fréquence, entendent cette information et continuent leur approche.

Aux commandes, il y a le copilote. Le commandant de bord supervise et s’occupe des communications. En approche VOR/DME, l’avion descend selon un profil qui ressemble à un escalier. Plusieurs points sont définis par leur distance et à chaque fois que l’appareil les survole, il doit descendre et se mettre en pallier en attendant le point suivant. La dernière marche se fait à une altitude appelée MDA. Une fois qu’il est à cette altitude, le pilote continue à chercher la piste mais au plus tard jusqu’à un point appelé MAP. Si la piste est vue avant ce point, la descente et l’atterrissage se poursuivent, autrement, il faut remettre les gaz. Bien sûr, de nombreux pilotes ont la tentation d’aider un peu le sort et descendant sous la MDA pour augmenter leurs chances de voir la piste. C’est ce que fait le commandant de bord ce soir là.

En effet, alors que le copilote se rapproche la MDA il ne voit rien du tout. Si ça ne tenait qu’à lui, il remettrait les gaz et irait poser dans un aéroport de déroutement quitte à ce que la compagnie paye la nuit d’hôtel aux passagers. Le commandant de bord ne l’entend pas de cette oreille. Pour lui, le plus important est de rentrer vite à la maison. De plus, dans son état de fatigue, il n’a plus vraiment envie de faire durer. Il faut atterrir même en prenant un peut de liberté avec les procédures en vigueur.

A 22:06:10, le commandant prend les commandes et sans la moindre visibilité, il descend sous la MDA. Terrorisé, le copilote marmonne « deux, quatre ». Deux, quatre, zéro, zéro pieds, 2’400 pieds, c’est la MDA sur l’approche 28 de Zürich. Le commandant déclare pour lui-même :
– Il a dit qu’il a vu la piste à deux nautiques…

Il fait référence au pilote qui a atterrit précédemment et qui avait déclaré à la radio avoir vu la piste à cette distance. Le copilote ne dit plus rien mais le radio altimètre annonce, par le biais d’une voix synthétique, le passage des 500 pieds de hauteur. A 22:06:32, la même voix annonce 300 pieds mais la piste n’est pas encore en vue. Le commandant de bord se pose la question à haute voix :
– Est-ce que l’on ne devrait pas faire une remise de gaz ?

Par acquis de conscience, il laisse encore passer deux secondes, puis comprend qu’il n’est pas possible d’arriver à l’heure ce soir. Le copilote reprend espoir et l’encourage à annuler l’atterrissage. Enfin, il pousse les manettes des gaz et tire sur le manche. L’aiguille du variomètre, qui indiquait 1’200 pieds par minute de taux de chute, commence à revenir vers zéro quand l’appareil se prend dans les arbres. Le choc est très violent, les ailes s’arrachent et le kérosène provoque une boule de feu qui engloutit l’avion avant que celui-ci n’arrive à l’arrêt complet. Sept passagers assis tout à l’arrière ainsi que deux hôtesses sont éjectés et auront la vie sauve. Tous les autres occupants, y compris les pilotes, sont tués par le choc et leurs corps sont consommés par les flammes. Il faudra utiliser des méthodes génétiques pour identifier toutes les victimes.

Dans l’axe d’approche de la 28 à Zürich, il n’y a pas de lac, mais un bosquet d’arbres. En tentant son truc de Lugano sur ce terrain, le commandant de bord a précipité son appareil dans le décor. L’accident fit 33 morts.

Crash de l’Union des Transports Africains vol GHI 141

0

Malgré tout l’attention portée aux problèmes, les compagnies les plus sérieuses peuvent se retrouver, le temps d’un vol, soumises à des situations divergentes. Dans certaines compagnies, les données de base rendent le chaos systématique et inévitable. Le manque de moyens financiers et techniques favorise une culture d’entreprise basée sur l’approximation et la prise de risque constante. Le système fonctionne grâce à la chance et à la faculté des avions de pardonner de nombreux écarts. Même s’il touche la caricature, le vol GHI 141, qui se termina dramatiquement, illustre bien ce phénomène.

 

crash Boeing 727 UTA
Cockpit du 727 d’UTA
Le Boeing 727 numéro de série 21370 a eu une longue histoi-re depuis sa sortie des usines de Seattle en 1977. Il vola de longues années sous les couleurs d’American Airlines parcou-rant les USA dans tous les sens. En 2001, après près d’un quart de siècle de bons et loyaux services, il fut remisé dans le désert Californien. L’aéroport de Mojave est un cimetière d’avion. La majorité y arrivent par les airs et repartent sous forme de ferraille à recycler. On y trouve des Boeing 747-100, des Airbus A300 et plein d’autres appareils civils ou militaires en fin de vie. Ce 727 y passe quelques mois avant d’être ra-cheté par une société de Floride dont le siège social est aux Iles Vierges et les bureaux aux Emirats Arabes Unis. Au début 2003, il est remis en service et la FAA donne son accord pour qu’il quitte les Etats-Unis par les airs. Il part en Afghanistan où la compagnie nationale fait encore voler ce genre d’objets. Après un semestre à faire Kaboul – Istanbul – Moscou, l’avion est envoyé vers un autre client, la compagnie Alpha Omega du Swaziland. Ceci est l’un des pays les plus petits et les plus pauvres d’Afrique. L’espérance vie n’y dépasse guère les 32 ans et ce n’est pas que pour des problèmes d’avions.

Après quelques vols, Alpha Omega décide que c’est plus ren-table de sous-louer l’avion que de l’exploiter directement. Elle y rajoute un équipage composé sur le tas et le loue à l’Union Africaine des Transports pour des contrats de 30 jours renou-velables. Cette Union, n’a aucun avion, si ce n’est le 727 qu’elle vient de louer.

Il n’y a pas de date de péremption pour un avion tout comme il y en point pour les autres véhicules. Par contre, plus il vieillit, plus il va demander des opérations de maintenance, de contrôle et de remise aux normes. Ceci exige que les opéra-teurs soient techniquement et financièrement capables d’assumer leurs responsabilités. Paradoxalement, les avions en bout de potentiel se retrouvent chez les compagnies les plus faibles. De plus, un ancien Boeing ou Airbus obtenu sur des réseaux obscurs, voir louches, ne présente aucune garan-tie de fonctionnement sûr.

L’équipage fourni par le loueur est étonnant. Le commandant de bord a une licence de pilote de ligne délivrée par la Libye et non reconnue par la Guinée. Il ne peut donc pas travailler dans ce pays. Il a une licence de pilote professionnel délivrée au Royaume Uni mais elle ne permet pas d’occuper un poste de commandant de bord sur un avion de plus de 5700 kg. Son parcours de vol dans les jours et semaines précédent l’accident est inconnu. Le copilote est exactement dans la même situation. Son expérience professionnelle est inconnue. Le mécanicien de bord avait une licence Libyenne également et venait de rejoindre la compagnie.

Il y avait aussi une chef de cabine et trois hôtesses de l’air qui travaillaient sans contrat. A chaque vol, il y avait aussi deux mécaniciens et un convoyeur. Ce dernier, se déplaçait tou-jours avec une mallette d’argent liquide pour payer comptant le carburant les et taxes d’aéroport. (Par exemple, lors des derniers mois d’existence de Swissair, la compagnie avait perdu tout crédit et ses commandants de bord devaient tou-jours voyager avec de fortes sommes d’argent pour payer les services reçus dans les aéroports.)

L’appareil avait une configuration de 140 sièges, mais trans-portait un nombre plus important et indéterminé de personnes. Il n’y avait pas d’attribution de places et de nombreuses personnes réussissait à embarquer sans cartes d’accès. Certains passagers revendaient aussi leurs cartes d’accès à des per-sonnes pressées.

Le 25 décembre 2005, le 727 UTA devait faire un long vol qui allait le conduire de Conakry, capitale de la Guinée, jusqu’à Dubaï, un des sept Emirats Arabes Unis. Ce voyage était organisé chaque semaine et faisait escale à Cotonou, au Bénin, à Koufra au milieu du désert Libyen et à Beyrouth au Liban. A chaque arrêt des passagers débarquaient ou étaient ajoutés.

On avait posé un gros autocollant aux couleurs d’UTA sur la carlingue, mais on pouvait lire par transparence le logo d’American Airlines. Tout dans l’exploitation et la gestion de cet avion respirait le drame au ralenti. Pourtant, on y trouve des passagers très sérieux y compris du personnel de l’ONU.

Tout se passe bien jusqu’à l’escale de Cotonou. Des passagers embarquent en surnombre. Certains viennent de l’aéroport et d’autres d’un autre avion qui arrive de Lomé au Togo. Ils portent de grandes quantités de bagages qu’ils introduisent en cabine. Le copilote s’en inquiète et essaye de les en séparer et demande au personnel au sol de tout mettre en soute. Quand celle-ci est ouverte, il s’avère qu’elle est pleine à ras bord et qu’il y a pas moyen d’y rajouter la moindre valise. L’avion est nettement surchargé, mais il n’y a aucun calcul de charge de fait et personne ne sait s’il décollera ou pas.

Le commandant de bord se rend au bureau de piste pour déposer son plan de vol, mais ne s’intéresse pas au dossier météo. A son retour, il règle le problème de la surcharge en annonçant que le décollage se fera avec 25 degrés de volets. Ce réglage maximal permet un décollage sur la plus courte distance possible. Par contre, aucun calcul de centrage de ne se fait. La répartition des charges sur un avion influence la position de son centre de gravité. Sur un appareil long comme le 727, une hôtesse de l’air qui se déplace avec un chariot provoque un déroulement de trim dans le poste de pilotage ! Pour cette raison, avant chaque décollage, les charges placées dans l’avions sont rentrées dans un document qui donne graphiquement la position du centre de gravité ainsi que la valeur à placer dans l’index du plan horizontal réglable (PHR). Quand tout est fait comme il faut, lorsque le pilote tire sur le manche au décollage, l’avion répond normalement. Autre-ment, l’appareil peut présenter des caractéristiques dangereuses. Par exemple, si le centre de gravité est trop à l’arrière, dès la mise en puissance l’avion a une forte tendance à cabrer et les pilotes doivent pousser sur le manche pour évi-ter qu’il ne décolle trop tôt. Au contraire, si le centre de gravité est trop à l’avant, l’avion ne répond pas quand le manche est tiré. Un mauvais centrage découvert doit inciter les pilotes à annuler le départ et à revenir sur le parking pour vérifier la ré-partition des charges.

Le 727 est très gourmand en piste. A pleine charge, il n’est pas inusuel de le voir consommer la quasi-totalité d’une piste de 3000 mètres pour quitter le sol. L’altitude du terrain et la température augmentent sensiblement ces distances. A Coto-nou, la piste ne fait que 2400 mètres et la température est de 32 degrés en cette journée de Noël.

Quand l’avion commence à rouler, une partie des passagers ne sont pas encore assis. Il y a de la bousculade parce que des personnes qui voyageaient en groupe cherchent à rester ensemble. Par manque de place, certains passagers sont même assis sur les sièges du personnel de cabine. Une hôtesse de l’air confie ses appréhensions à une collègue. Elle en est sûre, c’est plus qu’un pressentiment, l’avion ne décollera pas. Elle n’est pas la seule, pendant le roulage, le copilote dé-clare aux autres :
– Si on arrive à décoller aujourd’hui, je te dis, ça sera une per-formance ! Chaque passager est monté avec une valise de vingt kilos vous verrez si on décolle ou si on tombe dans la mer !

Le directeur général de la compagnie voyage en poste et avoue son impuissance :
– Je vais les gronder à Beyrouth, je ne peux rien faire mainte-nant mais au retour on fera autrement.

Le moment fatidique arrive et le 727 entre en piste. Le copilote est aux commandes. Il freine complètement tandis que le mécanicien de bord se penche sur les manettes et affiche la puissance maximale sur les trois réacteurs. Le commandant de bord rassure :
– Vas doucement avec les freins, relâche lentement, c’est très gênant pour les passagers. Lentement, relâche lentement.

Libéré de l’emprise des freins, le Boeing se met à accélérer. La piste défile, mais la vitesse augmente très mollement. Quand le copilote tire sur le manche, l’avion fait mine de ne pas réagir. Puis, degré par degrè, il se cabre. Les roues quittent le sol de un puis de deux mètres et l’avion cesse de monter. Planant sur l’effet de sol, il passe le bout de piste. Dans le prolongement, il y a une baraque technique puis un mur en béton. Ces derniers ne sont plus aux normes OACI, mais les autorités aéroportuaires avaient jusqu’en 2010 pour les enlever.


crash Boeing 727 UTA
Petit bâtiment en bout de piste.
Coupé en deux par le choc. Un employé s’y trouvait
 

 

 


crash Boeing 727 UTA
Mur détruit par le train d’atterrissage
 

 

 


crash Boeing 727 UTA
crash Boeing 727 UTA
Le train d’atterrissage
 

 

 


crash Boeing 727 UTA
Vis sans fin du stabilisateur de profondeur.
Elle garde la position du réglage même après un crash.
 

 

Le train d’atterrissage est le premier à taper contre la cabine en bout de piste. Elle est littéralement coupée en deux. Un technicien y travaillait, c’est par miracle qu’il eu la vie sauve. L’avion percute également le mur en béton et, comme prévu par le copilote, il tombe à la mer et se fracture en plusieurs morceaux.

A l’impact, les passagers non attachés volent dans la cabine. Au loin, les techniciens présents dans la tour voient l’avion disparaître dans un nuage de poussière et de fumée. De par-tout, des milliers de personnes affluent vers la plage pour aider d’éventuels survivants. L’attention est louable, mais le chaos perturbe l’arrivée des pompiers et secours médicaux.

Il y a 138 morts, en majorité des Libanais rentrant au pays. Le copilote décède ainsi que la moitié des dix membres d’équipage. Le commandant de bord est gravement blessé mais survivra et aidera les enquêteurs à établir les circonstances de cet accident annoncé. Il y a à peine 17 survivants qui se trouvaient, pour la majorité à l’arrière de l’appareil ou vers les zones de rupture de la carlingue.

L’Union Africaine des Transports a cessé toute activité mais les mécanismes ayant conduit à ce crash existent toujours. Ceci est une menace pour les populations locales ainsi que pour les touristes occidentaux qui peuvent à tout moment se retrouver pris dans un tel engrenage.

(Extrait du livre Sécurité Aérienne, Amine MECIFI, à paraitre en septembre 2007)

Rentrée automatique des spoilers

0

Suite au crash de l’American 965, un débat fit rage au sujet de la non rentrée automatique des spoilers lorsque le pilote appliqua la poussée maximale. Nombreux sont ceux qui souhaitent que cette fonction soit intégrée, mais le problème est plus compliqué que ce qu’il en a l’air.

Les spoilers sont des surfaces qui peuvent se déployer sur l’extrados de l’aile pour en dégrader les performances aérodynamiques. En vol, ils permettent de descendre plus rapidement sans gagner trop de vitesse. Peu avant l’atterrissage, la manette est placée en position armée et dès que les roues touchent le sol, les spoilers se déploient automatiquement pour éviter que l’appareil ne rebondisse. De plus, en augmentant la charge sur les pneus, ils améliorent la capa-cité de freinage. Dans ce mode, il suffit que le pilote pousse les manettes des gaz pour que les spoilers se referment automatiquement.

En vol, si les pilotes poussent les manettes des gaz, les spoilers ne rentrent pas tous seuls. C’est généralement le cas sur les Boeing. Sur les Airbus, ils rentrent quand même. C’est difficile à imaginer, mais il y a des situations où l’on voudrait que les spoilers restent sortis alors que les moteurs ne sont pas sur le ralenti vol.

Par exemple, sur le Boeing 727, il est nécessaire de maintenir un peu de puissance durant la descente pour alimenter le système de pressurisation de la cabine. Sur d’autres avions, il faut garder une certaine puissance sur les moteurs pour alimenter les différents systèmes de dégivrage.

Par contre, il n’y a pas de cas où il est nécessaire d’afficher une poussée maximale tout en gardant les spoilers sortis. Cependant, il se pose un problème de pilotage lors de la remise des gaz. La sortie des spoilers, sur de nombreux avions, provoque une tendance à cabrer. Sur certaines machines, ceci est très marqué. Par exemple, à l’atterrissage, les pilotes du MD-11 ont deux mouvements rapides avec le manche. Quand les spoilers sortent, ils poussent se le manche pour bloquer le mouvement à cabrer. Par contre, une seconde plus tard, le système de freinage automatique s’active et nez de l’avion a tendance à plonger rapidement. Ils tirent sur le manche pour amortir sa descente.

Les réacteurs attachés à l’aile provoquent une poussée qui passe sous le centre de gravité. Ainsi, quand la puissance affichée est augmentée, l’avion a tendance à cabrer.

La situation suivante fut démontrée par les chercheurs de Boeing : si le pilote réalise une remise des gaz, une rentrée automatique des spoilers provoquera forcément une tendance de l’avion à baisser son assiette. Dans ce cas, le pilote va encore tirer sur le manche. Ce geste arrivera en même temps que la montée en puissance des réacteurs. La composition de ces deux derniers effets, peut provoquer un cabré important et incontrôlé qui se termine par un décrochage.

Sur les Boeing 777, le phénomène est tellement marqué que l’avion est équipé d’un mécanisme de contrôle de l’assiette lors des la mise en puissance avec une rentrée, toujours manuelle, des spoilers. Sur les Airbus, l’ordinateur fait partie de la chaine de contrôle et veille en tout temps à l’attitude de l’avion.

D’après les procédures Boeing, tout le temps que les spoilers sont sortis en vol, il faut que le commandant de bord ait la main sur leur manette. De cette façon, le risque d’oubli est diminué. Cette procédure n’était pas appliquée chez American Airlines à l’époque de l’accident du vol 965.

Accident de l’American Airlines vol 965

0

De nos jours, le type de crash le plus fréquent implique un avion qui va au sol d’une manière contrôlée. Les pilotes réalisent leurs tâches normalement sans se rendre compte que leur trajectoire va vers la terre, l’eau ou le relief. Dans de nombreux cas, ils ne se rendent compte et ne réagissent que quand l’avion rentre dans une fenêtre où l’impact est inévitable. De plus, l’obligation de réagir en une fraction de seconde implique un risque d’erreur important. Ce type d’accidents est connu sous le nom de CFIT pour Controled Flight Into Terrain.

Le vol AA 965 reliait Miami à Cali en Colombie. A quelques jours avant Noël, il connaît une affluence particulière à cause des émigrants hispaniques qui rentrent passer les fêtes en famille. Ils ne sont pas les seuls à vouloir partir et les aéroports sont tous congestionnés. Prévu pour décoller à 16:40, le vol est retardé une première fois pour attendre des passagers en correspondance. Finalement, quand ceux-ci arrivent, l’appareil a déjà perdu sa place dans l’interminable file d’attente. Il faudra près d’une heure et demie de roulage au pas avant que le 757 ne puisse décoller avec ses 8 membres d’équipage et 155 passagers.

Evoluant à 37’000 pieds, l’appareil passe dans l’espace aérien de Cuba, puis dans celui de la Jamaïque et enfin dans celui de la Colombie après près de 3 heures de vol. Il fait bien nuit quand la descente commence sur la destination, Santiago de Cali. L’approche n’est pas simple et pour tout dire, elle est très stressante. L’avion descend alors que tout autour se profilent les ombres menaçantes des sommets de la Cordelière des Andes, la plus longue chaine de montagnes au monde.

L’aéroport est situé dans une vallée encaissée à 3’200 pieds d’altitude. Les cartes indiquent des obstacles à plus de 14’000 pieds dans un rayon de quelques kilomètres seulement. Quand le pilote s’annonce auprès du contrôleur local, il est au niveau 200 en descente.

A Cali, il n’y a pas de radar depuis 1992. Des guerrieros l’ont fait sauter parce qu’il appartenait au gouvernement central. Les contrôleurs travaillent à l’ancienne avec des feuilles de papiers, des strips, qu’ils classent sur un pupitre en fonction des départs et des arrivées. Dans ces conditions, il n’y a pas moyen de connaître précisément la position d’un avion. Il faut les appeler tous régulièrement et leur demander où ils se trouvent pour pouvoir les séparer les uns des autres. Sur ce type de terrains, dès qu’il y a une demi-douzaine d’avions en activité, les échanges radio deviennent nombreux.

La météo est variable avec de nombreuses couches nuageuses éparses et, occasionnellement, de la pluie. Hors des nuages, la visibilité dépasse les dix kilomètres. La température au sol est de 28 degrés, presque un record pour la saison. C’est dans ces conditions que l’AA 965 est autorisé à poursuivre sa descente. Le copilote est aux commandes alors qu’il n’est jamais venu sur ce terrain. Il fait confiance au commandant de bord qui, sans être un familier, est déjà venu une bonne douzaine de fois. Aucun briefing d’approche n’est réalisé. La préoccupation majeure des pilotes est d’arriver le plus vite possible afin de rattraper leur retard.

A la tour de contrôle de Cali, il y a un certain état de choses. Des amis du contrôleur sont présents. Ils écoutent de la musique, discutent et profitent de l’endroit pour passer des appels téléphoniques au frais des autorités aéroportuaires. De plus, le contrôleur a un niveau d’Anglais qui lui permet à peine de répéter des phrases qu’il donne usuellement lors des approches et des départs.

La piste en service est la 01, elle pointe vers le nord. Pour les avions arrivants des Etats-Unis, il faut survoler l’aéroport, partir vers le sud, faire demi-tour et revenir atterrir. C’est cette trajectoire qui est programmée dans le l’ordinateur de gestion du vol (FMC) du 757.

 


AA965
Remarquez les deux balises 274 R (Rozo et Romeo).
Même fréquence et même indicatif en deux endroits différents !
Comme le vent est faible sur le terrain, le contrôleur décide de faire une fleur au vol AA 965 et demande aux pilotes s’ils ne préfèrent pas faire une approche directe sur la piste 19. En moins de 4 secondes, ces derniers acceptent. Pourtant, ce n’est presque pas jouable. Il faut sortir les cartes de cette nouvelle approche, les étudier, faire un briefing complet, reprogrammer le FMS et perdre de l’altitude plus rapidement. Dans cette perspective, le copilote déploie les spoilers alors que le commandant commence à reprogrammer l’ordinateur de bord. Au moment où il sélectionne une approche directe, tous les points de route s’effacent (Bien avant ce crash, Boeing avait eu beaucoup de plaintes de la part des pilotes au sujet du comportement du FMS. Le changement avait été accepté et les systèmes étaient progressivement mis à jour quand arriva cet accident. Sur l’avion impliqué, le FMS fonctionnait encore de manière non intuitive.). Ceci est normal dans la logique du système. Cependant, le contrôleur avait demandé de rappeler en passant au dessus du VOR de TULUA et ils ne savent plus le retrouver dans la base du FMS.

En effet, d’après les usages courants, n’importe quel pilote s’attendrait à ce que le code 3 lettres de TULUA soit quelque chose comme TUL, TLA ou TUA à la rigueur. Il n’y a pas de règles précises sur ce point. Le VOR de TULUA répond à l’indicatif ULQ. Quand le commandant de bord ne le trouve pas dans le FMS, il commence à fouiller ses classeurs de cartes pour le situer. Pendant ce temps, l’avion passe à sa verticale et continue à aller vers le sud en descendant à toute vitesse. En désespoir de cause, le commandant décide de programmer le point suivant, ROZO. Dans le stress, il va tomber sans un second piège.

En effet, ROZO est abrévié par R, mais il n’est pas le seul. Plus loin, vers le nord-est, près de Bogota, il y a une autre balise NDB appelée ROMEO et répondant également à l’indicatif R. Pour faire bonne mesure, elle émet sur 274 kHz comme son homonyme. Dès que le commandant de bord valide la balise R, le FMS charge l’information dans la mémoire du pilote automatique et l’avion commence à virer à gauche pour se diriger vers ROMEO. Ce virage n’est pas normal parce que l’appareil aurait du continuer tout droit sur Rozo.

A 21:38, le copilote pose cette question ahurissante : « où sommes-nous ? ». Plus personne ne comprend très bien ce que fait l’avion. Ni le contrôleur qui multiplie les appels, ni l’équipage qui n’ose pas remettre en question le comportement de l’ordinateur de bord. Alors qu’il descendait dans un canyon, en virant, l’avion s’oriente vers l’une des parois.

Le copilote propose de tourner vers le VOR de CALI. Ce repère donne au moins quelque chose de sûre aux pilotes : c’est là qu’ils vont. L’idée est aussi tôt approuvée et l’appareil, sous pilotage manuel cette fois, commence à virer à droite pour reprendre son axe. A cet instant, le radioaltimètre s’active et mesure que le sol est à moins de 2’500 pieds en remontant très rapidement. L’information est transmise au GPWS qui réagit immédiatement :
– Too Low Terrain ! Annonce une voix synthétique dans le cockpit

Les pilotes sont soudainement plongés dans la réalité. Sans perdre un instant, le copilote tire le manche et pousse les manettes des gaz. Moins de deux secondes après l’alarme, les réacteurs commencent à accélérer. L’avion est cabré à la limite du décrochage et commence à gagner de l’altitude. Entre lui et la montagne, s’engage un bras de fer. Le 757 est très puissant mais son cap suit le chemin de plus grande pente du terrain. De plus, le copilote a oublié les spoilers sortis. Les performances ne sont pas optimales. Alors qu’il est à moins de 80 mètres du sommet (250 pieds), l’avion se prend dans les arbres et s’écrase brutalement. Il y a 159 morts et 5 rescapés dont un chien qui s’appelle Miracle.

Dès qu’il ne reçoit plus de réponse à ses appels, le contrôleur déclenche l’alerte et les secouristes se mobilisent. Dans les Andes, il est possible de perdre un avion, même un 757, et de ne jamais retrouver sa trace. C’est seulement après six heures du matin qu’un hélicoptère de l’armée découvre les restes fumants et oriente la colonne de secours.

Ce crash est l’illustration dramatique d’une perte de conscience de la situation par les pilotes. Dans des situations imprévues et sous stress opérationnel, les équipages peuvent perdre le sens de leurs actions et arrivent à en oublier qu’ils sont dans un avion qui avance de plusieurs kilomètres par minute. Seuls des projets à très court terme arrivent à les occuper. Ces actions peuvent être très secondaires, mais empêchent la réalisation d’actions vitales comme le maintien de l’attitude, de la vitesse ou de la trajectoire.

Quand les pilotes acceptent l’approche sur la piste 19, ils pensent qu’ils sont encore avant l’IAF (Initial Approach Fix) qui est le VOR de TULUA. Une fois qu’ils se rendent compte que ce point est derrière, ils ne révisent pas leur jugement sur la base de cette nouvelle information. En aviation, une décision doit toujours être dynamique et constamment mise à jour sur la base de l’évolution de la situation. Sous pression, les équipages peuvent adopter une attitude qui consiste à confirmer des décisions prises même si elles sont mauvaises. Tous les éléments tendant à contredire la décision sont sous-pondérés ou ignorés.

Sur les nouvelles générations d’appareils, l’avènement de l’informatique a permis de réduire les équipages de conduite à deux personnes seulement. L’ordinateur est un outil indispensable mais s’il tombe en panne ou doit être écarté, il y a immédiatement un déficit dans le cockpit. La charge de travail augmente brutalement et à des moments où il est difficile de faire face. Pour illustrer ce phénomène, on peut juste imaginer la situation d’une entreprise devant arrêter ses ordinateurs et réaliser ses opérations à l’aide de carnets et de stylos. En très peu de temps, le personnel n’est plus en mesure de faire face à la charge de travail.

Au point de vue maintient des connaissances, l’informatisation fait oublier aux opérateurs les techniques manuelles. Sincèrement, combien de personnes savent encore faire des divisions compliquées juste avec une feuille et un crayon ? Quand un contrôleur demande à un pilote de Boeing 727 d’arranger sa descente pour passer tel point à telle altitude, il faut faire des calculs. Tenir compte de la vitesse de l’avion, des composants de vent, du taux de descente, de l’altitude actuelle, de la distance restante au point indiqué… tout un travail. Heureusement, ils sont trois dans le cockpit. Sur un A340, quand une altitude est sélectionnée, un arc s’affiche pour indiquer au-dessus de quel point elle sera atteinte. Il suffit d’ajuster l’assiette pour atteindre une altitude à un point précis. Il n’y a pas le moindre calcul à faire. Et même si le vent ou la vitesse changent, il suffit d’adapter l’assiette. Habitués d’une telle facilité, les pilotes peuvent tomber de haut quand s’en trouvent privés. Selon comment, certains peuvent lâcher l’avion, reprogrammer l’ordinateur, et reprendre le contrôle après. C’est à peu près ce qui arriva à l’équipage du Thaï 311, cet accident sera traité un peu plus tard.

Après le drame de Cali, le NBD ROZO fut renommé. Aujourd’hui, il s’appelle PALMA et son indicatif, vous l’auriez deviné, est PL.

(Extrait du livre Sécurité Aérienne – par Amine MECIFI – Sortie Septembre 2007)

Freinage d’un Airbus A320

7

Contrairement aux avions de chasse qui freinent par des parachutes ou sont arrêtés par des câbles, les avions de ligne sont obligés de freiner par leurs propres moyens. Cette semaine, après le crash du vol de la companie TAM à Sao Paolo au Brésil, les questions de freinage sont assez fréquentes. Voici quelques indications spécifiques à l’Airbus A320:

Cet appareil a deux circuits hydrauliques pouvant permettre le freinage: le circuit vert et le circuit jaune (Boieng désigne les circuits par des lettres A, B, C… alors qu’Airbus les désigne par couleurs). Chaque circuit est capable d’agir sur les freins à lui tout seul. Si un circuit tombe en panne (baisse de pression), le système passe automatique sur l’autre.

Les pilotes freinent en appuyant avec les pieds sur le haut des palonniers. Le signal (entièrement électrique) est envoyé vers le BCSU (Brake and Steering Control Unit) qui est un ordinateur qui contrôle le freinage, mais aussi la direction de la roulette de nez. Ce dernier tient compte de l’ordre du pilote, mais aussi d’autres paramètres pour élaborer la pression de freinage.

A l’atterrissage, le BCSU utilise les données de 2 ordinateurs ADIRS (Air Data Inertial Reference Sytem) pour calculer la vitesse de l’avion et 4 tachomètres installés sur les roues pour calculer la vitesse que “voient” les roues. La différence permet de détecter les situations où les roues sont bloquées et ont tendance à glisser. Le système ABS sur l’Airbus A320 perment de réduire la distance de freinage jusqu’à 40%. Dès que la vitesse d’une roue est 13% inférieure à la vitesse de l’avion, il réduit la pression de freinage dessus. Donc au maximum, la roue peut “rater” ou bloquer environ 13 tours sur 100. Le pilote peut mettre l’ABS sur ON ou OFF.

Le freinage automatique
Il peut être armé par un bouton rotatif à plusieurs niveau:

Low: dans ce mode, le freinage commence progressivement 8 secondes après le déploiement des spoilers sol. La décéleration visée est de 1.7 m/s2

Medium dans ce mode, le freinage est plus aggressif. Il commence immédiatement à la sortie des spoilers sol (donc au moment de l’enfoncement du train d’atterrissage principal) et vise une décélération de 3 m/s2

High (marqué “hi”) armé surtout lors du décollage pour permettre le freinage en cas d’interruption. Il applique la pression maximale sur les freins.

Spoilers
Sont armés avant l’atterrissage et se déploient au-dessus de l’aile dès que le train principal est enfoncé (train enfoncé, manettes des gaz sur ralenti et vitesse supérieure à 66 noeuds). Ils cassent la portance et permettent aux roues de mieux adhérer au sol. Les spoilers internes ne sortent qu’au sol, alors que les spoilers les plus externes peuvent être déployés au sol ou en vol.

Inverseurs de poussée
Après l’atterrissage, un système mécanique peut dévier le flux d’air des réacteurs vers l’avant. La puissance de ceux-ci est donc utilisée pour freiner. Le système est très pratique sur pistes mouillées, mais il ne doit pas être utilisé pour le calcul des performances d’atterrissage. En clair, les pilotes ne doivent pas compter dessus. L’avion doit être tout le temps exploité de manière à pouvoir se poser et freiner dans la distance disponible sans nécessiter l’emploi des inverseurs de poussée. La logique est d’éviter d’avoir un avion qui ne peut pas freiner parce que ses réacteurs sont en panne par exemple.

Les inverseurs ont leurs limites. Ils ne peuvent ne doivent être utilisés qu’à une vitesse relativement élevée pour éviter la surchauffe des réacteurs. Ceux-ci peuvent avaler de l’air chaud ou même des débris renvoyés par l’air qui revient depuis l’arrière. En cas d’urgence, les reverses peuvent être utilisés jusqu’à l’arrêt complet avec le risque, quand même, d’endommager un réacteur.

Dans le cadre de l’accident TAM, la sortie de piste est si rapide que la panne des inverseurs sur cet avion n’est pas un paramètre déterminant. De plus, l’avion doit pouvoir s’arrêter sans eux.

Livre “Sécurité Aérienne”

2

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

J’ai le plaisir de vous annoncer la sortie en Septembre 2007 de mon livre “Sécurité Aérienne”. Déstiné à un public averti, ce livre traite sur près de 500 pages les sujets majeurs de la sécurité aérienne aujourd’hui. Pour la première fois, l’approche ne se fait plus par cas (accidents), mais par thème. Les erreurs de conception, le givrage ou les incursions sur les pistes… sont traités sur 13 chapitres. Ca sera la publication la plus complète disponible en Français sur le thème de la sécurité aérienne. Plus de 2000 rapports d’accidents ont été analysés pour vous apporter les meilleurs enseignements disponibles sur chaque thème.

La préface est réalisée par Mr Marc Chernet président de l’association de défense des familles des victimes de l’accident de Charm El Cheikh.

Ce livre sera prochainement disponible chez Amazon ou en commande chez votre libraire.

 

Sao Paolo: Crash du Vol 3054 (Sortie de Piste)

0

Un avion de TAM s’est écrasé lors de l’atterrissage à l’aéroport de Sao Paulo Congonhas. Les 186 occupants sont décédés et on déplore de nombreuses victimes au sol. Analyse à chaud des premiers éléments connus.
Quelques heures après l’accident de l’Airbus A320 de la compagnie TAM, il faut rester très prudent sur les causes probables du drame. Celles-ci ne seront connues que dans un à deux ans, quand l’enquête officielle sera terminée. Par contre, il possible dès maintenant de faire ressortir quelques circonstances factuelles.

L’Avion
Fabriqué à Toulouse en France, l’appareil de type A320 avait, par ailleurs, commencé sa carrière sous une immatriculation Française. Il effectua son premier vol au début 1998 et reste donc considéré comme une machine assez récente selon les standards en cours. Cet Airbus est équipé d’un cockpit très élaboré avec des instruments permettant l’atterrissage automatique sans visibilité (Cat IIIC). Cependant, ce genre d’atterrissages ne sont possibles que si l’équipage et l’aéroport sont homologués. Autrement, l’appareil se pose sous pilotage manuel.

Le terrain
L’aéroport de Sao Paolo ne présente aucune difficulté. Il n’exige pas de manoeuvres spéciales pour atterrir ou décoller. Les axes d’approche passent au dessus de régions sans reliefs mais qui sont fortement urbanisées. Le périmètre immédiat des pistes est bordé d’autoroutes et d’habitations. La configuration n’est pas très différente de ce que l’on trouve à London City ou New York LaGuardia où les pistes se terminent dans l’eau ou sont à proximité de fortes densités de population.

Dans un terrain pareil, la sortie de piste n’est pas permise. Pourtant, des sorties de pistes, il y en a tous les jours quelque part dans le monde.

La météo
Les médias parlent de “pluie battante” au moment de l’atterrissage. Les bulletins officiels d’observation métérologiques (METAR) annoncent pourtant une faible pluie vers l’heure de l’accident. Le vent, avec 15 kilomètres de force, ne semble pas avoir joué un rôle déterminant.

La visibilité annoncée sur l’aéroport est de 6000 à 7000 mètres. Valeur confortable certes, mais qui doit être manipulée avec précaution. En effet, il s’agit là de la visibilité dite “dominante”. D’après l’OACI, la visibilité est la plus grande (bien la plus grande) des deux valeurs suivantes :
– la distance horizontale maximale à laquelle un objet noir de dimensions convenables et proche du sol peut être vu et reconnu quand il est observé sur un fond clair.
– la distance horizontale maximale à laquelle on peut voir et identifier une source lumineuse d’environ 1000 Candelas contre un arrière plan sombre.
1000 Candelas, c’est les phares d’une voiture.

Par contre, que faire quand la visibilité n’est pas la même dans différentes directions ? D’après l’OACI, c’est la visibilité minimale qu’il faut considérer. Par contre, de nombreux pays considèrent cette approche comme trop restrictive et lui préfèrent ce que l’on appelle « la visibilité prévalente ». C’est-à-dire la visibilité maximale atteinte sur au moins 180 degrés continus ou non d’horizon.

A cause de cette arithmétique, il est possible d’avoir une visibilité publiée de plusieurs milliers de mètres alors qu’il n’y a guère que quelques centaines de mètres sur l’axe d’approche. Ceci est typique quand des lignes de grains isolés arrivent au niveau d’un aérodrome.

Le soir du crash, les nuages étaient bas, très bas. Dès 700 pieds sol, pratiquement tout le ciel était couvert (BKN). Pour les pilotes, ceci signifie que la piste ne surgit qu’au dernier moment. La piste en question ne fait que 1950 mètres de long, il faut bien poser sur les marques afin de pouvoir freiner. A titre de comparaison, l’aéroport de Genève Cointrin dispose d’une piste de 3900 mètres de long. Les terrains avec 2000 mètres de bitume sont d’abord adaptés aux avions à hélices et aux petits jets d’affaires. Un Airbus A320 à Sao Paolo, par beau temps, c’est passable. Par mauvais temps, ça se discute.

L’accident
Selon les informations disponibles actuellement, l’approche se passe sans incident majeur. Les pilotes ne déclarent aucune situation d’urgence, ils semblent donc avoir les choses en main. Pourtant, l’approche n’est pas stabilisée. Les observations météorologiques donnent une vision optimiste de la situation. La pluie redouble de puissance et les nuages dégradent fortement la visibilité.

L’appareil pose trop vite et après avoir consommé trop de piste. La distance de freinage restante est courte et le sol est mouillé. Les pilotes voient que jamais ils ne pourront freiner à temps et décident de remettre les gaz. Il faut de trop longues secondes pour que les réacteurs atteignent leur pleine puissance et l’avion lourdement chargé (186 passagers quand même !) se remet à prendre de la vitesse.

Les réacteurs à plein régime, l’appareil n’ayant pas encore assez de vitesse pour s’envoler, a quitté la piste et est allé percuter une station d’essence et d’autres constructions.

Cas Similaires
Les accidents aériens suivent tout le temps des schémas répétitifs. Aujourd’hui, après plus d’un siècle d’aviation, il devient quasiment impossible de trouver un accident qui n’a pas eu de précédents.

Le 27 avril 1977, un Boeing 727 de la compagnie American Airlines approche sur l’aéroport de Saint Thomas dans les Iles Vierges. La piste ne fait que 1600 mètres et le vent est capricieux. La compagnie considérait l’aéroport comme “limite” et exigeait que l’atterrissage soit tout le temps réalisé par le commandant de bord avec les volets à 40 au moins.

L’avion passe le seuil de piste avec une vitesse légèrement supérieure à la normale et pose après avoir consommé près de la moitié de la longueur disponible. Après quelques secondes d’hésitation, le commandant de bord remet les gaz : sortie de piste, obstacles, station d’essence… et 37 morts au final. La compagnie cessa de desservir ce terrain avec de gros appareils.

Pourtant, en septembre 1999, un Boeing 757 de Britannia sort de piste après un atterrissage mouvementé sur Gerona en Espagne et ne fait aucune victime. L’appareil pose brutalement, rapidement et en vent arrière. Il quitte la piste et parcourt plusieurs centaines de mètres en se désintégrant. Au final, les 236 occupants sont indemnes et certains rentrent même à pieds à l’aérodrome parce qu’ils n’en peuvent plus d’attendre les secours. L’aéroport de Gerona est entouré de terrains agricoles, ceci fait toute la différence.

Les sorties de piste à grande vitesse sont rares et découlent de situations exceptionnelles. Le plus souvent, ce sont des approches non stabilisées ou des remise de gaz trop tardives qui provoquent le départ dans le décor. Quand des obstacles importants se trouvent sur la trajectoire, la vie des passagers se trouve menacée.

===============================================
Première version de l’article

J’ai reçu quelques questions déjà me demandant mon sentiment sur le crash de l’Airbus A320 de TAM. Quelques heures après un accident d’une telle ampleur, il est difficile de penser déjà aux causes techniques et encore moins trouver des causes probables.

Cependant, il est encore normal de chercher à comprendre même si peu d’éléments sont disponibles aujourd’hui.

Un environnement difficile:
L’aéroport de Sao Paolo se trouve en plein milieu de la ville. En bonne météo, l’approche ne présente aucune difficulté, mais il n’y a pas de marge pour les sorties de pistes. Nous sommes loin de la configurations de certains aéroports comme celui de Schiphol (Amsterdam) où les pistes sont bordées de champs et de gazon. A Sao Paolo, si l’appareil quitte la piste, il va très rapidement percuter des obstacles. On passe donc à des accidents au lourd bilan au lieu de s’en tenir qu’à de la casse materiel.

En septembre 1999, un avion de type Boeing 757 de Britannia, vol BY226A, avait fait une sortie de piste impressionante à Gerona en Espagne. Là, la configuration du terrain était différente. Il n’y avait que des champs autour de l’aéroport et malgré la casse de l’avion, les 236 occupants s’en sont sortis indemnes.

Une remise de gaz
Le crash a eu lieu alors qu’il pleuvait. On ne sait rien de plus au sujet de la météo. Est-ce qu’il y avait un gros orage ou juste un petit peu de pluie. Le vent ? La visibilité ? L’état de contamination de la piste ? Rien pour le moment.

En tout cas, après une approche certainement anormale, l’appareil a atterrit, mais probablement trop vite et peut être même après avoir consommé une bonne partie de la piste disponible. Avec environ 180 passagers, l’appareil était vers sa charge maximale: donc difficile à accélérer, difficile à freiner. Après l’atterrissage, voyant que le freinage n’est pas possible, le pilote augmente les gaz pour décoller. Une telle décision aurait du être prise durant l’approche. Une fois l’avion est au sol, il perd rapidement de la vitesse (freinage automatique, sortie des spoilers, volets en position atterrissage… etc), s’il faut redécoller, il faut une importante distance d’accélération. Dans ce cas, la distance était insuffisante et l’appareil, au lieu de s’élever, est allé percuter des obstacles.

Un bilan lourd
Le bilan est lourd parce que l’avion allait très vite. Il a percuté les obstacles alors que les réacteurs étaient à puissance maximale. S’il était en situation de freinage d’urgence, l’impact aurait pu être moins violent, mais pas nécessairement moins meurtrier. Il y a de nombreux cas d’accidents après sortie de piste qui finissent par la mort de 99% des occupants alors que l’impact contre les obstacles ne semblait pas très violent. Il faut aussi compter avec les procédures d’évacuation. Si le feu se déclare vite, il peut rendre l’évacuation impossible. C’est souvent LE problème majeur quand l’accident en soi est survivable.

Approche non stabilisée
Un atterrissage pareil, ne peut venir que d’une approche instable avec des vitesses, des altitudes et des configuration avion non contrôlées. La grosse question est de savoir si l’avion avait un problème justifiant une telle approche (panne grave, pertes de contrôle, volets bloqués, instruments en panne, panne moteur par mauvaise météo, feu à bord…) ou bien simplement c’est un problème 100% de facteurs humains.

Définition: le Fail-Safe

0

Un système conçu selon le principe Fail-Safe est un système qui continue à remplir sa mission de manière partielle ou totale en cas de panne. Plus précisément, en cas de panne unique, isolée et prévisible.

Exemple hors-aviation : un détendeur de plongée sous-marine qui gèle ne va pas bloquer mais continuer à débiter de l’air de manière incontrôlée. Pour le plongeur, il est préférable de recevoir un formidable débit en plein poire que de se retrouver privé d’air.

En pratique, on peut dire que le système Fail-Safe a 3 états :

Fonctionnement Normal – Fonctionnement dégradé (après 1 panne) – Panne totale (à la seconde panne).

Dans de nombreux systèmes, le fonctionnement dégradé et le fonctionnement normal sont pareils. C’est-à-dire qu’on n’assiste pas à une perte de performance entre les deux modes qui restent, néanmoins, bien distincts. Par exemple, une surface de vol est attaquée par plusieurs vérins hydrauliques en même temps. Si l’un d’eux est en panne, le pilote ne va pas ressentir de gêne et pourra actionner la gouverne sans problèmes.

Pour la raison évoquée plus haut, les systèmes Fail-Safe exigent des contrôles fréquents, l’installation de portes de visites et/ou des systèmes de contrôle et d’alarme à distance. Il faut donc que l’opérateur soit capable d’apporter une maintenance de qualité. En l’absence de celle-ci, le Fail-Safe peut devenir très dangereux. Une première panne surgit et reste sans réponse mais aussi sans effets dévastateurs sur le système. Elle devient une panne latente qui n’a aucun effet immédiat à elle seule, mais qui peut rester en quiescence pendant une longue période. Le système tourne en mode dégradé jusqu’au jour où une seconde panne survient et c’est la surprise pour tout le monde !

Ce genre de systèmes sont aussi un véritable défi à leurs réalisateurs. Ceux-ci doivent faire la liste des pannes possible et concevoir des redondances permettant un fonctionnement dégradé. Il faut retenir qu’un système n’est Fail-Safe que par rapport aux pannes qui ont été placées dans le cahier de charge lors de sa conception. En cas d’usage non conforme, on peut se retrouver face à des disfonctionnement qui n’ont pas été prévus par les concepteurs et pour lesquels le système n’offre aucune protection.

Les 737 Nouvelle Génération Menacés par un Boulon Mal Serré

0

Un 737-800 appartenant à la compagnie nationale de Taiwan a pris feu peu après son arrivée à l’aéroport d’Okinawa.

Il était 10:36 heure locale, le lundi 20 aôut 2007, quand un très fort incendie se déclara sur le coté gauche de l’appareil puis se propagea partout ailleurs. L’appareil qui transportait 157 passagers et 8 membres d’équipage a été totalement détruit par les flammes. Heureusement, grâce à une évacuation très rapide initiée par l’équipage, aucune victime n’est à déplorer. L’avion explosa quelques secondes après que le dernier passager eut quitté le toboggan.

Les résultats préliminaires de l’enquête ont mis en évidence un phénomène très grave. En effet, lors des phases d’atterrissage et de décollage, les pilotes déploient des surfaces à l’avant et à l’arrière des ailes. Il s’agit respectivement des slats et des volets. Quand on n’en a plus besoin, soit après le décollage ou après l’atterrissage, ces surfaces sont repliées ou rétractées dans des logements prévus dans les ailes :

 

747 slats
Image montrant les slats déployés sur un Boeing 747
 

 737-800 en feu
Il a suffit que le pilote rentre
les volets pour que l’enfer se déclenche

Maintenant, voici ce que les enquêteurs ont découverts jusqu’à présent : lorsque les slats sont sortis, un boulon mal serré ou installé sans rondelle de freinage se dévisse totalement ou partiellement et soit fait saillie, soit il tombe dans les rails permettant le guidage des slats.

Quand les slats sont rétractés, ce boulon vient percer le réservoir. L’essence coule sur le réacteur et prend feu. La perte de l’avion est garantie que la chose arrive au sol ou en vol.

Dans le cadre de l’incident d’Okinawa, c’est une chance extraordinaire que le phénomène se soit déroulé après l’atterrissage quand le pilote a rentré les volets. C’est un technicien au sol qui vu le début d’incendie et qui a alerté les pilotes. A très peu de choses près, l’accident aurait pu survenir après le décollage et l’avion aurait pris feu et explosé en vol. Dans ce cas, il aurait été difficile de trouver la cause de l’incendie avant la perte d’autres avions encore.

La FAA a émis une directive de navigabilité (AD 2007-18-52) concernant les avions de type Boeing 737-600, -700, -700C, -800, -900, et -900ER


Vidéo 1
Cette vidéo montre l’évacuation, l’explosion ainsi que les services de lutte contre l’incendie. Remarquez le pilote qui saute par un hublot du cockpit une fraction de seconde aprèsl’explosion.
 

 


Vidéo 2
Même scène, sous un autre angle. Un membre d’équipage attaque le feu avec un extincteur portatif. L’explosion arrive juste après qu’il ait pu s’éloigner :
 


 

Personne ne fut blessé au tué par ces explosions.

Autre lecture :
– Texte officiel de la directive de navigabilité FAA
(PDF AD 2007-18-52 Anglais)

Atterrissage en conditions givrantes – Accident du N500AT

0

Le 16 février 2005, Circuit City, une grande chaîne de magasins d’électroménager du Fortune 500, met en place deux Cessna Citation pour transporter des membres de son personnel. Lors de l’approche sur l’aérodrome de destination, le premier jet s’écrasa tuant tous ses occupants.

Le vol avait commencé à 6 heures du matin depuis Santa Ana en Californie. Il devait traverser une bonne partie des USA avec une escale technique qui eut lieu dans un aéroport régional du Missouri.

A 8:47 locales, le Cessna est autorisé à descendre depuis le niveau 370 par l’ARTCC de Denver. Dès ce moment, les pilotes commencent à s’inquiéter des conditions givrantes qui prévalent. Le commandant de bord déclare qu’il va « les chauffer un coup ». En même temps, il enclenche le système d’antigivrage qui protége les entrées des réacteurs et la partie de l’aile proche de la carlingue. Tout en gérant son avion, il demande au copilote de se retourner pour voir si des dépôts se forment sur la partie visible de l’aile. La réponse suivante est enregistrée par le CVR :
– Il y en a un peu sur le bord d’attaque. Ce n’est pas vraiment de la glace blanche comme celle qu’on avait eu hier. Elle est plus grise celle-ci…

A 18000 pieds, les boots sont recyclés alors que la descente se poursuit. A 9:05, l’équipage entre en contact avec le contrôle d’approche de son aéroport de destination Pueblo Memorial. Après un échange au sujet d’un autre jet régional croisant dans les environs, le contrôleur propose un deal aux pilotes. Ce message radio, pourtant anodin, va précipiter le sort du Cessna :
– Donnez-moi le meilleur taux de descente possible jusqu’à 9000 pieds ou bien vous maintenez 10000 pieds une fois que vous y êtes.

Le choix est tout de suite fait, ils préfèrent expédier leur descente et valident une autorisation pour 7000 pieds à condition d’y aller très vite. Le Cessna est un biréacteur léger et maniable, il peut se permettre des taux de descente ou de montée supérieurs à ceux des grands avions de ligne.

Placé au cap 290, l’appareil va progressivement à l’interception de l’axe d’approche ILS de la piste 26R. La météo communiquée annonce une bonne visibilité au sol, près de 10 kilomètres, une température de -3 degrés et un point de rosée à -4 degrés. Le copilote s’inquiète encore de la présence de givre :
– Tu as de la glace un peu différente maintenant. Elle est claire

L’avion est établi sur son plan de descente. Le train d’atterrissage est sorti et l’autorisation d’atterrir obtenue. Tous les systèmes anti-givrage dont il dispose sont lancés à fond. A 1500 pieds sol, alors qu’il est à moins de 7 kilomètres de la piste, le Cessna s’incline brutalement sur la gauche et le nez passe sous l’horizon. L’absence de DFDR rend difficile l’étude exacte de la trajectoire. Six secondes plus tard, le EGPWS envoie une alarme audible pour inclinaison excessive : « Bank angle ! Bank angle ! ». Neuf secondes plus tard, l’appareil s’écrase dans un champ et prend feu. Tous les occupants sont tués sur le coup.

Le NTSB s’intéressa à l’étude du second vol de la même compagnie. Le même type d’appareil, avec le même chargement et qui arrivait à 35 kilomètres derrière l’avion qui s’est écrasé. Son équipage avait aussi constaté des dépôts de glace opaque et granulaire de plus de 1 centimètre d’épaisseur par endroits. Il avait recyclé les boots 5 fois. La vitesse maintenue en approche et jusqu’aux environs du seuil de piste avait été de 120 nœuds contre 98 nœuds, puis 90 nœuds pour l’avion qui s’est écrasé. De plus, les moteurs avaient été gardés à un régime relativement élevé jusqu’à ce que l’atterrissage soit assuré.

Le Cessna Citation est équipé d’un dispositif d’alerte au décrochage constitué d’une sonde placée à l’avant juste en dessous du cockpit à droite. Elle transmet le signal à l’ordinateur de bord. Celui-ci est configuré pour réagir à une vitesse 7% inférieure à celle du décrochage pour un avion non contaminé. Une alarme audible est élaborée ainsi qu’une alarme tactile par le biais d’un moteur muni de masses excentrées qui font vibrer le manche. Cependant, l’avion accidenté était doté d’un système encore plus élaboré qui ajoutait une valeur forfaitaire de 5 nœuds à la vitesse de décrochage quand l’un ou l’autre des systèmes antigivrage réacteurs était activé. L’étude précise de la dernière minute d’enregistrement CVR montra que l’alarme de dérochage commença 1 seconde après le début de la perte de contrôle.

Lors de la descente rapide, l’avion au fuselage très froid, arrive dans une zone de bruine givrante. Ceci provoqua une accumulation visible de glace sur les ailes comme ce fut commenté par l’équipage. Par contre, et contrairement à la procédure constructeur et compagnie, la vitesse de référence ne fut pas augmentée. De plus, l’accumulation de glace sur les ailes ne fut ni surveillée, ni les boots de dégivrage lancés d’office lors de l’approche. De plus, erreur de certification, l’alarme de décrochage n’était pas adaptée aux conditions givrantes et ne se déclancha qu’après le décrochage aérodynamique proprement dit.

Fiche accident : 
Date : 16 février 2005
Lieu : Pueblo, CO, USA
Avion : Cessna Citation 560
Bilan : 8

Leçons à tirer :
– La vitesse doit de référence doit être augmentée lors des approches en conditions givrantes. L’avion avait décroché alors qu’il avait les volets totalement sortis et tous les systèmes antigivrage activés.
– L’alarme de décrochage ne doit jamais être tenue pour garantie en présence de conditions givrantes.

USS Greeneville et Ehime Maru – Collision au large de Hawaii

0

Les accidents liés aux facteurs humains se retrouvent dans tous les domaines de la technique, des transports et de l’industrie. La collision entre le sous-marin nucléaire d’attaque rapide USS Greeneville et le navire-école de pêche japonais Ehime Maru est un exemple typique. Ce drame provoqua la mort de 9 personnes et une vive tension entre les USA et le Japon. C’était le 9 février 2001, au large des côtes de l’archipel de Hawaii.

Le premier acteur du drame, le Ehime Maru avait appareillé le 10 janvier depuis le Sud du Japon avec à son bord 20 membres d’équipage, 13 étudiants et 2 enseignants. Ce navire de 58 mètres jaugeait près de 500 tonnes et servait d’école pour de futurs pêcheurs professionnels. La sortie dans le Pacifique était prévue pour durer 74 jours. Le Japon est classé le deuxième plus grand pêcheur au monde après la Chine, la formation des professionnels de ce secteur est une affaire très sérieuse.

 

Le navire de pêche-école Ehime Maru
Le navire de pêche-école Ehime Maru. 500 tonnes, 58 mètres.
 

L’USS Greeneville est un des fleurons de la flotte navale des Etats-Unis. Appartenant à la classe Los Angeles ce sous-marin déplaçait 7000 tonnes en immersion. Propulsé par un réacteur nucléaire fabriqué par General Electric, il était capable d’atteindre 15 nœuds en surface et plus de 35 nœuds une fois sous l’eau. Ces valeurs varient en fonction des sources. Les performances exactes sont protégées par le secret défense et n’ont jamais été communiquées au public. Ce poisson de 110 mètres de long a coûté de près de 1 milliard de dollars au contribuable américain.

 

USS Greeneville
Madame Gore, seconde femme des USA, aux commandes
de l’USS Greeneville à une précédente opération DVE
 

Le sous-marin quitte son port d’attache, Pearl Harbor, Hawaii, le 9 février 2001 aux ordres du commandant Scott Waddle. La mission du jour était d’impressionner des visiteurs civils triés sur le volet. En effet, à chaque élection il est question de démanteler une partie de l’arsenal militaire pour faire des économies et calmer la fiscalité galopante. Tout aussi régulièrement, les différents corps d’armée réalisent des opérations de communication touchant des personnalités très ciblées. L’idée est démontrer à un auditoire influent l’importance, sinon la nécessité, des fonds octroyés par le Gouvernement. Dans le jargon de la Navy, on parlait de programme DVE pour Distinguished Visitor Embarkation.

Ainsi, lors de sa fameuse sortie, l’USS Greeneville avait à son bord ses 106 membres d’équipage ainsi que 16 visiteurs. Parmi ces derniers, il y avait 14 présidents de grandes entreprises ainsi qu’un auteur sportif et son épouse. Tous ces civils se tenaient debout dans la salle de commande. Ceci créait, par nature, une situation très gênante pour l’équipage de conduite. En effet, la première impression qu’on a en entrant dans un sous-marin c’est que « c’est plein ! ». Il y a à peine de la place pour permettre l’installation et la circulation du personnel de bord. Le moindre espace est occupé par des tubes, des valves, des robinets ou des appareils de mesure et de navigation. A toutes les hauteurs, on trouve des écrans, des tableaux d’instruments, des leviers ou des vannes.

 

Le sous-marin USS Greeneville - AVSDU
L’AVSDU, l’écran de retour des sonars était en panne.
 

Dans la salle de commande, il y a foule. Les officiers qui mènent le sous-marin ne peuvent plus se déplacer, ni communiquer correctement. De plus, juste avant le départ de la mission, le commandant est informé que son écran de retour des informations des trois sonars d’attaque est en panne. Situé près du périscope, ce moniteur permet d’avoir une vue globale de la situation des bâtiments en surface. Il est décidé de partir sans prendre le temps de réparer cet équipement.

Il est 8 heures du matin quand le sous-marin glisse silencieusement vers le large. A 10:17, il atteint son point de plongée et s’enfonce dans les eaux du Pacifique. Immédiatement après, les invités sont conviés à un repas.

Le temps passe et les officiers sont nerveux. L’USS Greeneville doit être de retour au port à 14:30 pour le début d’une cérémonie officielle. En aucun cas il ne faut arriver en retard. Pourtant, ce n’est qu’à 13:10 que le commandant Waddle réussit à rassembler tout le monde dans la salle de commande pour le début de manœuvres de démonstration. Dès la fin de celles-ci, il prévoit de mettre le cap sur Hawaii à la vitesse maximale.

A la surface, le navire de pêche japonais croise à 11 nœuds et s’approche de plus en plus de la position du sous-marin. En même temps, à bord de ce dernier, le responsable du sonar décide de ne plus mettre à jour la position des contacts détectés. Comme il le déclare plus tard, le suivi de ceux-ci exigeait de nombreux déplacements et l’usage de plusieurs écrans. Ceux-ci étaient restreints ou cachés totalement par les visiteurs qui se bousculaient à bord.

 

Pendant un quart d’heure, le sous-marin réalise des manœuvres à pleine vitesse. Des virages sérés et des mouvements rapides dans le plan vertical donnent aux assistants une image impressionnante des capacités tactiques. Par la suite, le submersible remonte à 18 mètres de profondeur et le périscope est déployé. L’officier de pont commence à inspecter visuellement la surface mais les vagues, plus hautes que prévu, le gênent. Le commandant ordonne une remontée supplémentaire de quelques pieds et il se met lui-même au périscope. Alors que le Ehime Maru est à moins de 2100 mètres, il ne le voit pas. D’après les procédures de la Navy, l’inspection périscopique doit durer au moins 3 minutes et balayer un cercle complet. Ce jour là, le commandant avait fait un rapide tour visuel qui dura un peu plus d’une minute.

Dernier élément qui vient ficeler ce drame, c’est la perte des cibles sonar. En effet, après des manœuvres rapides, le sous-marin perd les bâtiments en surface. Il lui faut tenir un cap stable pendant au moins trois minutes pour permettre leur localisation à nouveau. Pressé par le temps, Scott Waddle ne laisse l’USS Greeneville que 90 secondes en ligne droite puis il vire et décide de passer au clou du spectacle.

En entendant le commandant dire qu’il ne voit aucun navire en surface, l’officier responsable des sonars doute de ses calculs et efface la cible S-13. C’était le Ehime Maru.

Une descente d’urgence amène le submersible à 120 mètres de profondeur. Puis, on explique aux civils qu’on va réaliser une remontée d’urgence. Pour réaliser cette manœuvre, de l’air sous pression est brutalement injecté dans les réservoirs de ballast. Des tonnes d’eau en sont chassées et le sous-marin acquiert soudainement une flottabilité positive. Il se cabre et commence à aller très rapidement vers la surface. Dans cette position, la poussée de l’hélice sert aussi à propulser le sous-marin vers le haut. La proue crève l’eau en premier. Elle se lève assez dans l’air puis retombe dans une gerbe de vagues et d’écume. Pour les personnes présentes dans le sous-marin, l’effet des accélérations est voisin de celui que procurent les manèges de type montagnes russes.

Dans la salle de commandes de l’USS Greeneville, deux civils sont encadrés par l’équipage pour lancer eux-mêmes la manœuvre. Sur l’ordre du commandant, ils poussent les leviers et le sous-marin commence sa rapide ascension comme un bouchon de liège lâché du fond d’une baignoire.

 

Remontée d'urgence
Remontée d’urgence réalisée par l’USS Pittsburgh. C’est un des premiers sous-marins
de classe Los Angeles (remarquez les ailerons que les nouveaux modèles n’ont plus).
 

En 40 secondes, il arrive à la surface. La proue surgit sur le coté de l’Ehime Maru puis en retombant, elle propulse l’arrière du sous-marin vers le haut. Le mouvement est brutal et puissant. La gouverne de direction de l’USS Greeneville éventre le navire de pêche de part en part. Celui-ci, malgré ses 500 tonnes, se soulève presque à la verticale et retombe dans l’eau et commence immédiatement à couler.

Les marins survivants se jettent dans l’océan et s’accrochent à des radeaux de secours sous l’œil compatissant de Scott Waddle qui les observe au périscope jusqu’à ce que le navire de pêche sombre totalement cinq minutes plus tard. Il lance alors un message de détresse au COMSUBPAC, le commandement de la flotte submersible du Pacifique. Ce dernier le relaie immédiatement aux gardes cotes qui se ruent sur le lieu de l’accident. Trois quarts d’heure après l’impact, un Zodiac rapide est sur les lieux. Immédiatement suivi par un navire de patrouille puis par les incontournables hélicoptères des médias.

 

Le sous-marin USS Greeneville
Le sous-marin USS Greeneville en cale sèche après la collision
 

Le patrouilleur ramasse les 26 survivants qui s’entassaient dans les radeaux. Seul l’un d’entre eux est sérieusement blessé. Il souffre d’une clavicule cassée. Manquent à l’appel neuf personnes dont 4 étudiants de 17 ans. Aucun rescapé ne les a vu. Selon le commandant japonais, ils étaient  peut être dans la salle des machines et la cuisine dans le pont inférieur et n’ont pu s’échapper à temps. Les recherches sur zone durent 22 jours puis elles s’arrêtent quand tout espoir est perdu.

L’USS Greeneville est peu endommagé. Seule une partie de son revêtement acoustique est à refaire. Sa coque en acier HY-100 n’a pas souffert. Il quitte la zone sous ses propres moyens et sera mis plus tard en cale sèche pour inspection complète. Personne à son bord n’est blessé, mais la catastrophe a été évitée de justesse. Si la collision avait eu une configuration différente, ça aurait pu être le sous-marin et ses 122 occupants qui aurait sombré.

Au Japon, le premier ministre Yoshiro Mori est informé de l’accident alors qu’il joue au golf. Il décide de continuer sa partie et ne vient aux nouvelles qu’une heure et demie plus tard. Détesté et réputé d’être un homme sans cœur, ce fut la dernière gaffe de sa carrière politique qui se termina quelques semaines plus tard. Ce ne fut la seule carrière à se terminer. Le jour de l’accident, Scott Waddle fut retiré de son commandement en attendant les suites de l’enquête. Celle-ci eut un volet militaire, mais également un volet civil sous la responsabilité du NTSB puisque qu’un navire de commerce a été impliqué.

L’affaire prend rapidement une ampleur nationale au Japon. Deux jours après les faits, le 11 février 2001, le Président des Etats-Unis, Georges Bush, présente les excuses de sa nation dans une élocution télévisée. Le Secrétaire d’Etat Colin Powell et le Secrétaire de la Défense Donald Rumsfeld présentent des excuses publiques également.

Dans un contexte chargé d’émotion, les reproches pleuvent sur le commandant Scott Waddle dont l’administration n’a d’options que de le soustraire de la scène. On s’étonne de son manque de compassion envers les victimes, de sa mauvaise gestion du sous-marin, du fait qu’il n’a pas cherché à porter secours aux naufragés, du fait qu’il a laissé les commandes à des civils non qualifiés… certaines familles endeuillées vont jusqu’à le qualifier de criminel.

Un mois plus tard, il passe devant une commission militaire  Vu qu’il n’y avait pas d’intention criminelle, la commission ne recommande pas la mise en place d’une cour martiale pour le cas. Par contre, de nombreux manquements sont relevés dans le comportement de Scott Waddle. Il n’avait pas respecté les procédures de la Navy. Il avait laissé s’installer un nombre important de négligences individuelles. Il n’avait pas tenu compte de la panne de l’écran de retour des sonars. Il avait crée une urgence artificielle et zappé les mesures de sécurité élémentaires. Il était trop sur de lui. Il était trop complaisant envers les personnalités présentes… la liste est longue et signifie une seule chose pour lui : la Navy, c’est fini.

Les autorités militaires US font des efforts sans limites pour prouver leur bonne volonté au peuple japonais. Pour comprendre l’enjeu, il faut situer le contexte. En fait, depuis qu’il a regagné sa souveraineté en 1951, le Japon a signé des traités de coopération et de sécurité mutuelle avec les USA. Les accords stipulent que c’est l’armée US qui est responsable de la défense du territoire nippon. Celle-ci bénéficie de bases locales où elle stationne son personnel et ses équipements ainsi que d’une cotisation de sympathie de 2 milliards de dollars. Cependant, en quelques décennies, les soldats américains ont été impliqués dans plus de 200’000 offenses allant de l’accident de la route au meurtre gratuit en passant par le viol sur mineur. Chaque occurrence vient nourrir le ressentiment des populations locales. De plus, comme ces soldats sont protégés par un statut particulier, ils ne sont pas jugés selon les lois de leur pays d’accueil, mais par celles de leur corps d’armée. Les peines faibles ou symboliques en regard des faits entretiennent la frustration et l’animosité de ceux qui veulent voir partir l’armée US.

Aussi, quand un sous-marin de la Navy fait couler un navire civil japonais, c’est toutes les composantes du contexte tendu qui arrivent au premier plan. Rien que la durée des recherches sur un cas où le sort des victimes ne fait aucun doute donne une juste idée de l’embarras des autorités américaines. En juin, il est même décidé de remonter le navire coulé. Celui-ci gît par 610 mètres de fond. Deux entreprises, dont Smit International des Pays Bas, sont contractées pour l’intervention. Jamais un objet aussi lourd n’a été cherché d’aussi loin sous l’eau. En fait, le Ehime Maru n’est jamais réellement sorti. Il est tout d’abord remonté à 35 mètres de profondeur puis tiré jusqu’à une zone côtière où une centaine de plongeurs vont à son exploration. Pendant un mois de recherches, les corps de 8 marins décédés sont remontés. Le neuvième ne sera jamais retrouvé. De nombreux effets personnels ainsi que l’ancre et une plaque portant le nom du bateau sont également repêchés. Par la suite, le navire de pêche est encore soulevé et tiré vers le large. Arrivé dans une zone où la profondeur dépasse les 1800 mètres, ses liens avec la barge sont coupés et il entame son dernier voyage vers les profondeurs de l’océan Pacifique.

 

Le Scorpio II
Le sous-marin téléguidé Scorpio II est mis à l’eau pour une première visite de l’épave.
 

 

Ehime Maru
Les premières images du Scropio II prises par 610 mètres de profondeur.
 

 

Ehime Maru Plongeurs
Les plongeurs inspectent le Ehime Maru posé par 35 mètres de profondeur.
 

 

 

USS Greeneville
L’USS Greeneville en cale sèche. Remarquez comme l’hélice est protégée par un cache.
Sa forme et sa composition est un secret défense (de polichinelle).
 

 

 

USS Greeneville hélice
Image très rare montrant l’hélice à 7 pales d’un sous-marin de classe Los Angeles.
 

Audio :
– Message d’urgence tel que relayé en clair par le COMSUBPAC aux gardes cotes. Le texte en Anglais : “Coast Guard, uh, this is, uh, COMSUBPAC Pearl Harbor. We have a vessel that has had a collision approximately nine miles south of Diamond Head. A commercial ship with a submarine. Vessel has sunk. Uh, people are in the water. The rough seas may prohibit submarine from …”. Dont la traduction en Français serait : “Gardes Cotes, ici le COMSUBPAC Pearl Harbor. Nous avons un vaisseau qui a eu une collision approximativement À 9 miles au sud de Diamond Head. Un navire commercial avec un sous-marin. Le navire a coulé. Des gens sont à l’eau. La mer difficle pourrait empêcher le sous-marin de… [porter assistance]”